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russe au centre du continent, et au rayonnement de son influence vis-à-vis de l’influence anglaise.

Nous avons montré les bases politiques de la législation religieuse de l’empire ; il ne faut pas croire que toutes les clauses de cette législation, dont nous avons voulu citer les plus choquantes, aient dans la pratique une valeur égale. Pour être inscrites dans le recueil des lois, ces prescriptions ne sont point exécutées à la lettre. Le progrès de la civilisation en rend heureusement l’application difficile, parfois impossible ; sur ce point, les mœurs des Russes valent souvent mieux que leurs lois. En Russie plus que partout ailleurs, il est bon de se défier des règlemens écrits et de ne pas croire tout décidé par un texte législatif. En mal comme en bien, il faut savoir distinguer entre les prescriptions légales et l’application. Si certaines réformes ne sont encore inscrites que sur le papier, il est d’anciens abus qui n’existent plus guère que dans le code. Les Russes disent à qui veut l’entendre que cette législation religieuse n’est qu’une lettre morte. Il est certain qu’elle n’est point rigoureusement exécutée ; l’empereur, dans les provinces baltiques par exemple, a lui-même protégé contre elle la conscience de certains de ses sujets protestans. Pour n’être pas toujours exécutée, ce n’en est pas moins la loi. Les feuilles catholiques et protestantes entretiennent parfois l’Occident de la contrainte imposée à tels ou tels de leurs coreligionnaires de Russie ; il est fâcheux que ces récits soient autorisés par le code de l’empire. La loi n’a pas besoin de stimuler le zèle national et religieux du clergé ou de l’administration. Prêtres et employés sont jaloux de se distinguer par des conversions qui, pour leurs promoteurs, sont des titres de faveur, et que chaque année le saint-synode enregistre dans un tableau officiel comme des conquêtes pour l’état en même temps que pour l’église. On peut en Angleterre laisser dormir les lois sans les abroger : la liberté générale garantit contre tout abus d’autorité. Il en est autrement en Russie. Là, ce qui prend la place de la loi quand elle n’est point appliquée, c’est l’arbitraire, et avec lui l’incohérence et la corruption. La liberté de conscience est alors heureuse de trouver un refuge dans la vénalité. Par les nouveaux orthodoxes comme par les raskolniks, les documens officiels le reconnaissent, le silence des popes ou de la police est acheté à prix d’argent. La loi qui donne à l’église le privilège du prosélytisme aboutit ainsi à la démoralisation de l’église et du peuple.

La Russie ne pourra de longtemps renoncer à une église d’état : ses traditions et son mode de gouvernement ne le lui permettent point. L’exemple de l’Angleterre montre du reste qu’une église nationale n’est pas incompatible avec l’entière liberté religieuse. L’épreuve serait moins dangereuse pour l’église russe que pour l’église