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bibliothèque, haute de plafond, avec ses noires boiseries de chêne, ses croisées profondes, étroites, qui donnent sur un parterre bien abrité, ses innombrables rayons où les boîtes à ouvrage, les raquettes des jeunes filles, les accessoires de pêche des garçons, le jeu de trictrac du grand-père et autres objets révélateurs des goûts de différens âges se mêlent aux livres lus en famille. Comme on comprend que cette pièce intime, hospitalière, fasse tort au salon cérémonieux ! De même les chambres à coucher d’apparat sont trop vastes et d’un aspect froid, tandis que « la galerie des célibataires, » joyeusement tapissée de toiles à ramages et encombrée de tout ce qui est nécessaire aux soins de propreté les plus minutieux, nous apparaît comme le séjour même du confort et de la gaîté. Par les fenêtres monte le parfum du chèvrefeuille qui s’enroule aux treillages, vous dominez l’avenue d’ormes centenaires, la pelouse où s’éparpille en permanence un jeu de crocket, vous demandez l’heure à la large face avenante de l’horloge des écuries. Dans la salle à manger où l’on fait de nombreux et solides repas, fût-on amoureux (cet appétit saxon, sans cesse aiguisé par le mouvement, est implacable), la vue est recréée par des tableaux ou des gravures représentant des scènes de sport, des animaux de ferme, mêlés aux portraits d’ancêtres bien nourris et d’aïeules poudrées ; puis il y a des revenans… Par là seulement Dangerfield appartient à la catégorie de châteaux que nous venons de décrire ; il est hanté, — mortellement triste du reste et comme fermé au moindre rayon de soleil. Tout y est ennuyeux, à en juger par le journal de Kate, dont voici le résumé.

« Levée à sept heures, c’est mon habitude. Je remarque en me regardant au miroir que le grand air et l’exercice ne gâtent pas le teint, au contraire. Ma première impression, une envie de chasse… Arrachée à mes rêvasseries par la sonnette de ma tante, je m’habille, à la hâte pour la prière, qui est à huit heures et demie. Déjeuner. Ma cousine Amélia, une automate, insinue que mes serviettes de toilette sont probablement trop grosses, car elles ont frotté mes joues du rouge qui siérait à celles d’une fille de ferme. Mon cousin John affirme au contraire que j’ai l’air d’une rose, une rose-thé, ajoute-t-il quand je lui présente sa tasse. Après déjeuner, tandis qu’Amélia étudie son sempiternel piano, je vais faire une visite à l’écurie. Lady Horsingham, qui me surprend, commence un de ses prêches sur l’inconvenance de certaines façons qu’il lui plaît d’intituler cavalières. — Croyez-vous, me dit-elle, que les hommes apprécient beaucoup les jeunes personnes qui, à la barbe près, leur ressemblent en tout ? Croyez-vous qu’ils aiment à rencontrer leur idéal échevelé, tout en nage, couvert de boue, trempé jusqu’aux os, noirci de coups de soleil ?