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éminemment sportive que nous avions déjà entrevue sous son aspect historique dans un précédent roman, Holmby House[1]. Plus d’un cheval de bataille et de course a succombé sur les champs de Naseby depuis l’époque où cavaliers et têtes-rondes s’y embourbaient en l’arrosant de leur sang. Le drainage et la culture n’ont pas remédié complètement aux qualités épuisantes du sol, et la guerre en miniature qui s’y livre désormais sous forme de steeple-chases n’est point sans péripéties tragi-comiques. La traduction serait impuissante à donner, fût-ce une faible idée de l’humour avec lequel Whyte Melville les groupe autour de son héros, John Sawyer, ce type, inconnu chez nous, de l’homme qui n’a d’autre position sociale que celle de chasseur, qui consacre à des courses au clocher trois ou quatre jours sur sept, qui en parle sans relâche dans l’intervalle et y pense toute la semaine, pour qui le tattersall est un temple, le cheval un dieu, et l’habit rouge, son passeport du reste pour pénétrer dans toutes les sociétés dont il se soucie, le plus glorieux des uniformes.

Le lecteur français est disposé à trouver ces scènes hippiques fort exagérées, voisines même de la charge comme les inimitables esquisses de Leec’h dans le Punch. Le fait est que tout cela est anglais, peu compréhensible pour nous autres, qui haussons les épaules devant ces bravades de casse-cou. N’oublions pas cependant que, grâce à elles, la science de l’équitation se propage, qu’on leur doit une excellente cavalerie, des auxiliaires précieux pour l’agriculture et le travail, ces caractères d’hommes enfin, dédaigneux par-dessus tout des basses jouissances et de l’oisiveté, dont l’effet est d’alanguir le corps, objet en Angleterre d’un salutaire respect ; sans parler d’une littérature qui, si elle n’est pas de l’ordre le plus élevé, est du moins inoffensive et à la portée de tous les esprits. Plus d’un romancier s’y est exercé, Ouida entre autres : elle a très agréablement assaisonné ses études élégantes des mœurs du high-life d’un parfum d’écurie piquant par le contraste ; mais il appartient à Whyte Melville de faire passer sur nous ce souffle pur et agreste qui rafraîchit, comme il le dit lui-même, ceux qui regardent attentivement certains tableaux de Landseer, de provoquer en nous les sensations honnêtes et franches qu’ont éprouvées tous ceux qui poursuivent dans leurs jeux, selon l’expression d’un judicieux admirateur des coutumes anglaises, « l’accroissement de la puissance humaine sur la matière. » Le défaut de ses romans néanmoins est de reproduire avec une certaine monotonie les mêmes événemens : dans chacun de ses livres, où peu s’en faut, se retrouvent l’éternelle chasse au renard, l’inévitable photographie de Hyde-Park, et

  1. Chronique du vieux Northamptonshire sous les Stuarts.