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exemple, on leur distribue des terres, faisant ainsi des missions un instrument de colonisation. On ne saurait entièrement blâmer ces procédés, qui, par la diffusion du christianisme, ouvrent la voie à la civilisation : la moitié de l’Europe chrétienne n’a guère été convertie d’une autre façon. En Asie comme en Europe, une telle propagande n’en a pas moins un grave défaut : elle est le principe de conversions simulées, extérieures, et, jointe aux règlemens qui retiennent dans son sein ceux qui ont une fois mis le pied dans l’orthodoxie, elle est en matière religieuse une des causes du règne des apparences qui a longtemps dominé en Russie, et qui partout a été l’un des grands obstacles à son progrès réel. Parmi les fidèles inscrits sur les registres de l’église nationale, beaucoup ne sont orthodoxes, beaucoup même ne sont chrétiens que de nom. Parmi les convertis dénombrés depuis un siècle dans les rapports officiels, il en est beaucoup dont, après deux ou trois générations, les descendans retourneraient encore volontiers au culte primitif. De l’aveu des sociétés d’encouragement pour les missions, les prosélytes sont souvent plus difficiles à retenir dans l’église qu’à y faire entrer. Parmi les conquêtes du culte officiel sur le protestantisme ou le catholicisme, comme parmi celles sur l’islam, l’abandon secret ou public de l’orthodoxie est fréquent. L’apostasie est surtout commune chez les populations musulmanes, chez les tribus tatares du Volga, de l’Oural ou du Caucase, qui s’étaient laissé administrer le baptême. En Russie comme dans l’Inde et l’Afrique, l’islam a repris une vigueur nouvelle, de la défensive il tend à passer vis-à-vis du christianisme à l’offensive. La foi du prophète revient aisément en faveur parmi des populations dont les idées et les mœurs sont restées musulmanes. On a vu sous Nicolas des Tatars chrétiens pétitionner pour être autorisés à retourner à la religion de leurs ancêtres. Sortis de l’islam ou des confessions chrétiennes de l’Occident, ces nouveau-venus à l’orthodoxie se trouvent dans une position analogue à celle des sectaires, des raskolniks, que la loi seule enferme dans l’église dominante ; De là de faux ces nouveau-venus à l’orthodoxie se trouvent dans une position analogue à celle des sectaires, des raskolniks, que la loi seule enferme dans l’église dominante. De là de faux orthodoxes, de faux chrétiens et de mauvais Russes ; de là pour le culte national une source nouvelle de corruption, de formalisme, de matérialisme extérieur. Les résultats politiques ne sont pas toujours meilleurs que les résultats religieux. Le bénéfice de quelques conversions suspectes est pour la Russie compensé par le tort que lui fait la propagande orthodoxe parmi ses sujets dissidens et leurs coreligionnaires étrangers. Dans la Lithuanie, la Russie-Blanche ou les provinces baltiques, les séductions religieuses sont hautement dénoncées, souvent exagérées par les feuilles catholiques ou protestantes de l’Occident. Sur les confins de l’Asie, le prosélytisme officiel parmi les musulmans apporte un obstacle de plus à l’établissement de la puissance