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l’avait placé à la tête de son conseil, aucune amertume, aucune attaque n’avaient été épargnées à Casimir Perier : impitoyables calomnies, violences dans la rue, dans la presse, à la chambre des députés, tout était bon aux passions hostiles pour le condamner à des luttes incessantes qui usèrent les forces de son corps sans éteindre l’énergie de son âme. Il mourut bientôt à la peine, mais la mort lui apporta, avec la paix du tombeau, une gloire qui devait s’élever chaque jour plus universelle et plus pure. Aussi était-ce la voix même de la France qui parlait par la bouche de Royer-Collard lorsque, sur la tombe encore ouverte de Casimir Perier, il prononçait ces paroles : « La gloire de M. Casimir Perier est pure et inattaquable. Sortie comme un météore de ces jours nébuleux où il semble qu’autour de nous tout s’obscurcit et s’affaisse, elle sera durable, car elle n’est point l’œuvre artificielle et passagère d’un parti qu’il avait servi ; il n’a servi que la cause de la justice, de la civilisation et de la vraie liberté dans le monde entier. »

Plus de quarante ans ont passé, et l’on peut dire que cet hommage rendu à la mémoire de Casimir Perier est devenu l’arrêt même de la postérité, de telle sorte que, si l’on en excepte un petit nombre d’esprits dominés par des préjugés étroits ou des passions implacables, il n’est pas un parti respectable et sincère, même parmi « eux qu’il a le plus énergiquement combattus, qui ne soit prêt à s’honorer en parlant dignement de Casimir Perier.

Comment tant de gloire incontestée a-t-elle succédé à tant d’accusations, à de si violentes attaques ? Comment la société a-t-elle été sauvée de tant de péril par une politique si calomniée jusqu’au jour où on a pu dire de Casimir Perier ce que lord Castlereagh a dit de M. Pitt, que sa politique avait triomphé sur sa tombe ? La réponse est tout entière dans les principes et dans les procédés de cette politique.


I

Témoin et acteur des drames si cruellement agités de 1831 et 1832, honoré comme collègue de toute la confiance de Casimir Perier[1], l’auteur de cette étude pourrait répondre à cette question en faisant uniquement appel à ses souvenirs, il sait d’avance qu’il serait cru. Cependant, pour faire revivre tout entière cette époque presque, contemporaine, dont on parle tant et qu’on se rappelle si peu, il entend se séparer en quelque sorte de son passé pour demander surtout ses preuves et ses conclusions aux actes publics,

  1. M. Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. II, chap. XII.