Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résoudre en Russie que partout ailleurs. Les concessions mutuelles et la bonne volonté réciproque y peuvent à peine remédier. Entre l’autocratie russe et la papauté romaine, entre ce que les catholiques ont appelé le césaropapisme des tsars et ce que les Russes nomment l’autocratie cosmopolite des papes, il y a une antipathie naturelle, une sorte d’incompatibilité fondamentale. Chacun des deux pouvoirs étend trop loin ses droits pour ne pas sembler empiéter sur ceux de l’autre. De là des revendications inconciliables, de là la difficulté de trouver un modus vivendi entre la cour de Pétersbourg et la curie romaine. Après bien des négociations reprises et abandonnées, il y a fallu renoncer. L’église catholique est aujourd’hui en Russie sans concordat, sans constitution officiellement acceptée des deux parties, ayant à sa tête le collège ecclésiastique de Pétersbourg, que la cour romaine tient en suspicion et qu’elle a la sagesse de supporter. Après plusieurs années, on a récemment pu s’entendre pour remplir les vides de la hiérarchie. En juin 1872, nous avons vu sacrer à Pétersbourg un archevêque de Mohilef, primat catholique de Russie. L’église romaine a dans l’empire une situation précaire, mais peut-être aussi régulière que le comporte le régime autocratique, — situation anormale dans le monde catholique, mais en rapport avec celle des autres églises en Russie et avec les institutions russes, qui ne font que lui appliquer la loi commune.

Partout où ils sont en quelque nombre, les catholiques de Russie ont des églises ; ils en ont de grandes et de petites, de riches et de pauvres. Parmi ces dernières, il en est une qui nous a laissé un souvenir particulier. C’était à la fin de l’hiver, un dimanche de carême, dans la vieille Novgorod, où, comme dans toute la Grande-Russie, il n’y a point de catholiques indigènes. On nous indiqua cependant une chapelle catholique romaine dans un faubourg écarté au-delà du Volkof, derrière le Kremlin. C’était au premier étage d’une sorte de grange basse et sombre. Comme toutes les chapelles catholiques de l’intérieur de l’empire, la salle était remplie de soldats de Lithuanie et de Pologne, auxquels se mêlaient quelques Polonais internés dans la ville. Il y avait bien dans cet étroit espace une centaine d’hommes et à peine trois ou quatre femmes. L’autel, couvert d’une nappe blanche et surmonté de deux cierges allumés, semblait préparé pour la messe. Au bout d’un certain temps, comme nous nous étonnions de ne pas voir paraître le prêtre, on nous dit qu’il était absent, et qu’il n’y en aurait point pour la messe. Il y avait bien à Novgorod un évêque polonais interné depuis l’insurrection de 1863 ; mais il n’avait pas la permission d’officier en dehors de chez lui. Les fidèles, presque tous munis de livres, se mirent à chanter l’office, mêlant des cantiques aux prières de la messe et se