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le travail si long et si pénible du défrichement serait épargné aux colons. Il leur suffirait d’avoir de l’eau. Serait-il même nécessaire de creuser des puits artésiens ? Que l’on regarde la carte de cette contrée, et on sera frappé du nombre de cours d’eau qui la traversent. Tous, à l’exception de l’Oued-Djeddi, prennent leur source dans l’Amar-Khaddou ou le Chechar, dont les sommets, couverts de neige en hiver, s’élèvent à 1,200 ou 2,000 mètres. En établissant des barrages sur ces rivières, qui parfois se changent en torrens, ne pourrait-on pas emmagasiner une quantité d’eau assez considérable pour arroser les terres ? N’est-il pas permis d’espérer qu’avec le secours des pluies, devenues plus fréquentes et plus régulières, il serait facile de changer complètement l’aspect de cette vaste région, qui se transformerait en une immense oasis couvrant une superficie de 600,000 hectares ? En présence de ce résultat colossal, que sont les quelques oasis qu’il faudra peut-être exproprier ? Nous avons dit qu’il était impossible de calculer ce que coûterait le percement de l’isthme de Gabès ; cette question sera résolue par le nivellement préalable. Nous pouvons cependant nous en faire une idée approchée. Le canal de Suez a 150 kilomètres de longueur ; le devis des travaux était de 185 millions, parmi lesquels les terrassemens figuraient pour 72 millions et les travaux d’art pour 84 millions. En se fondant sur ces chiffres et en supposant au canal de Gabès une longueur probable de 12 kilomètres, on arriverait, en y comprenant les travaux d’art, c’est-à-dire les digues jetées à l’entrée du canal et les phares de Karkenah et de Djerba, à un peu moins de 15 millions. Nous profiterions d’ailleurs de l’expérience acquise à Suez. Il est possible en outre que la nature du sol permette de réduire considérablement les travaux de terrassement, et qu’il suffise de creuser un canal étroit que nous laisserons le soin d’élargir et d’approfondir au courant rapide des eaux de la Méditerranée, se précipitant vers le bassin des chotts. Quoi qu’il en soit, nous arriverions, au maximum, en y comprenant les indemnités à accorder, au chiffre total de 20 millions. Est-il permis d’hésiter devant cette somme ? La terre n’est-elle pas le premier élément de la fortune publique, le capital producteur par excellence ? Nous aurions créé un admirable capital agricole de 600,000 hectares qu’on peut sans exagération estimer à plusieurs milliards.

L’amélioration du climat se ferait d’ailleurs sentir au-delà de Biskra jusqu’à la vaste et fertile plaine d’El-Outaya, où plusieurs fermes se sont déjà créées. Toute cette contrée, qui n’est aujourd’hui desservie que par la route de Batna, à peine tracée dans l’Aurès et souvent impraticable au roulage, pourrait écouler ses produits et s’approvisionner au moyen des transports par mer, qui sont toujours peu dispendieux, tandis que le transport par le roulage sur les routes