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Libyens, et malgré leur teint jaunâtre ils sont naturellement fort beaux. Le pays qu’ils habitent est excessivement riche et fertile ; de là vient qu’ils nourrissent beaucoup de nombreux troupeaux. » Polybe nous apprend que Massinissa, voyant le grand nombre des villes bâties autour de la Petite-Syrte et la richesse du canton des emporia ou places marchandes, jeta des yeux jaloux sur les revenus que Carthage en tirait. Diodore de Sicile parle également avec admiration de la fertilité de l’Afrique proprement dite[1]. Sous la domination des Romains, ces contrées devaient être encore très prospères, si l’on en juge par le grand nombre des établissemens qu’ils y ont fondés. Cela est bien changé aujourd’hui. Il n’y a plus une seule ville importante sur les bords de la Syrte, et l’on ne trouve autour des lacs que quelques rares oasis. Le retrait des eaux de la mer paraît donc avoir profondément modifié le climat de ces régions florissantes où les sables du désert, charriés par les vents du sud à travers le lit desséché des chotts, sont venus porter la désolation. Cet envahissement lent, mais continu des sables du sud, est malheureusement un fait bien constaté. M. Guérin en parle en termes éloquens dans la relation de son voyage à Nefta. « Les sables, dit- il, engloutiraient complètement cette sorte de paradis terrestre, si l’homme ne luttait avec énergie pour repousser leurs vagues mobiles et progressives, chaque jour plus menaçantes. » Dans cette lutte sans trêve, l’homme finira par être vaincu, s’il n’oppose aux sables une barrière infranchissable en ramenant la mer dans son ancien lit. Et il est impossible de douter de l’efficacité de cette barrière, si l’on songe que le seul cours de l’Oued-Djeddi a suffi pour arrêter pendant des siècles la marche des sables vers le nord. « L’Oued-Djeddi offre, dit M. Carrette, une particularité assez remarquable pour n’avoir échappé à aucun des peuples qui se sont succédé dans cette contrée. Dans une longueur de 300 kilomètres, il forme la ligne de démarcation entre la terre et les sables. Sur la rive gauche ou septentrionale, les terres cessent brusquement au lit du fleuve ; les sables commencent du côté opposé. » Malheureusement ils ont fini par franchir le cours inférieur de l’Oued-Djeddi ; pourquoi ? C’est que le retrait des eaux de la mer a eu pour résultat de creuser devant ce fleuve un gouffre de 25 à 30 mètres de profondeur ; alors la vitesse de son cours s’est accélérée, et, le volume de ses eaux diminuant en même temps par suite d’une évaporation plus rapide due à une plus grande sécheresse de l’air, le lit de la rivière s’est trouvé périodiquement à sec, et les sables ont pu passer sur la rive septentrionale. N’avons-nous pas le droit d’espérer que, si la présence de la mer venait

  1. L’Afrique proprement dite comprenait la Tunisie et la partie est de la province de Constantine.