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de Chegga, d’où la chaleur chassait déjà les nomades. Heureusement le signal put être installé dans le courant de mars, et les opérations furent terminées vers le 15 avril dans la plaine de Chegga.

Les indigènes désignent sous le nom de chotts ou sebkhas des bas-fonds vaseux, couverts de matières salines, où l’eau ne séjourne qu’à certains momens de l’année. Le chott Mel-Rir est à 70 kilomètres au sud de Biskra ; il occupe une superficie d’environ 150 lieues carrées, son lit communique à l’est avec celui du chott Sellem. Du chott Sellem au golfe de Gabès, situé à 80 lieues à l’est, on trouve une série d’autres bas-fonds semblables parmi lesquels les plus importans sont les chotts Rharsa et El-Djerid. Le bord oriental de ce dernier n’est distant de la Méditerranée que d’environ 18 kilomètres. Tous ces bas-fonds sont souvent à sec ; ils sont alors couverts de sels de magnésie, et ressemblent, à s’y méprendre, à d’immenses plaines couvertes de gelée blanche. Quand on s’aventure dans l’intérieur des chotts, on y éprouve une chaleur lourde et accablante. Les yeux sont éblouis par la réverbération des rayons du soleil sur les petits cristaux de magnésie qui tapissent le sol ; les objets placés sur les bords y sont réfléchis avec autant de fidélité que dans les eaux les plus transparentes. L’illusion est complète ; on se croirait sur un îlot au milieu d’un lac véritable.

Le lit du chott Mel-Rir était tout à fait à sec lorsque nous l’avons parcouru en 1873 ; on y voyait de nombreuses empreintes de gazelles. Le sol était assez solide ; en quelques endroits seulement, nous enfoncions jusqu’à la cheville. Il serait imprudent de s’y risquer sans guide. Il y a des trous de vase, très difficiles à distinguer, dans lesquels on disparaîtrait entièrement ; les indigènes les appellent marmites (chriats). Le chott Mel-Rir est beaucoup moins dangereux cependant que le chott Sellem et le chott El-Djerid. Ce dernier est traversé par la route très fréquentée qui conduit de Nifzaoua à Touzeur. C’est une ligne longue et étroite, sur laquelle on ne peut s’avancer qu’un à un. A certains momens de l’année, celui qui se hasarde à droite ou à gauche s’expose à être submergé dans la boue. Moula-Ahmed[1] raconte, d’après Et-Tedjâni, qu’une caravane de 1,000 chameaux traversait le chott El-Djerid, lorsqu’un de ces animaux s’écarta un peu du chemin ; tous les autres le suivirent et disparurent successivement dans la vase. Il ajoute qu’à l’époque où il y passa lui-même un terrain de cent coudées s’enfonça tout à coup, engloutissant les hommes et les animaux qui s’y trouvaient. Les chameaux se mirent à beugler, et ne laissèrent d’autres traces que leurs fientes, qui remontèrent à la surface. Des arbres que le vent avait déracinés, poussés par la rafale vers cet endroit,

  1. Exploration scientifique de l’Algérie, t. IX, p. 280.