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mis d’obstination à nous en tenir écartés et à suivre notre haine » car l’amour est te principe et la fin des choses, il engendre la justice, qui engendre la paix, qui engendre l’ordre, d’où naît le bonheur, lequel se résout en amour, et ainsi par constance à son principe l’âme se ramène à ce même principe, et parcourt un cercle ineffable où l’amour est la récompense des efforts aimans opérés par obéissance au moteur amour. Voilà la portée morale de l’Astrée, rarement on prêcha la paix sociale avec plus de finesse et de douceur.

Les contemporains écoutèrent avec ravissement, comprirent à peu près, et furent à demi convertis ; cette demi-conversion suffit à changer les mœurs. On le vit bien plus tard au refroidissement graduel des passions de guerre civile, qui est si sensible d’année en année entre le règne de Henri IV et la majorité, de Louis XIV. Quelle différence de chaleur entre les luttes de la ligue et celles de la minorité de Louis XIII, et entre ces dernières et la fronde ! Une coïncidence très curieuse à observer, c’est qu’à partir de l’apparition de l’Astrée l’anarchie se présenta sans principes moraux, comme pour justifier sans réserve la réprobation que lui infligeait la doctrine à demi platonicienne, à demi mystique de d’Urfé. La ligue avait eu au milieu de ses violences sauvages des principes moraux qui lui avaient servi d’excuse ; mais qu’est-ce que les troubles de la minorité de Louis XIII, sinon une anarchie capricieuse et décousue ? Cette absence absolue de principes fut très sensible lorsque, dans les années qui suivirent la mort d’Henri IV, on vit Polémas et Lygdamon, Clidamant et Alcidon reprendre les armes, qui à Sedan, qui à Poitiers, qui à Angers, qui en Dauphiné ou en Saintonge, coups de tête téméraires aboutissant à une série d’avortemens par l’absence de parti-pris, le défaut de concert et l’inconstance naturelle là où ne règne pas une forte passion : elle fut bien plus sensible plus tard encore sous la fronde, anarchie composée d’égoïsmes cherchant à se duper les uns les autres, et conduits par les seuls mobiles de l’intérêt. L’Astrée ne fut pas étrangère à ce résultat, car le succès, qui en fut de près d’un demi-siècle, eut cette qualité de lenteur qui fait les influences souveraines, et ce succès fut renouvelé et ravivé jusqu’à la mort de d’Urfé, arrivée en 1625, par les publications des parties ultérieures, qui parurent à longs intervalles de la première, l’une en 1616, l’autre en 1619. La partie de 1619 est curieuse par sa dédicace à Louis XIII, qui dans ces années qui suivirent la mort de Concini semblait vouloir prendre possession de lui-même. Dans cette dédicace, d’Urfé se plaît à remarquer que le nom de Loys s’écrit comme le mot lois, calembour significatif qui, rapproché du titre d’Astrée, suffirait à donner la clé du livre et à dévoiler la pensée