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inscription placée au-dessous du sphinx qui garde la rampe de la cour d’honneur ; le secret que gardent ces lieux, nous croyons l’avoir découvert et expliqué, c’est l’alliance tacite de l’esprit de la renaissance et de la religion traditionnelle ; s’ils en connurent d’autres, le temps les a effacés et emportés, mais celui-là suffit amplement pour faire de ce château une page d’histoire qu’aucun document écrit ne saurait égaler. C’est ce que nous avons vu de plus complet en ce genre parmi les anciennes résidences particulières après le château de Bussy-Rabutin. Ce que le château de Bussy est pour l’histoire du XVIIe siècle, le château de La Bâtie l’est pour l’histoire du XVIe. Aussi voulons-nous émettre de nouveau à son sujet le vœu que nous avions énoncé jadis à propos du château de Bussy : c’est qu’il soit créé une classe mixte de monumens historiques qui, tout en respectant les droits de la propriété particulière, protège contre la brutalité ou l’ignorance ce qui est en définitive la propriété de tous. De telles pages ne peuvent être abandonnées à la merci du hasard, et, lorsque le passé a réussi à se conserver vivant à un pareil degré, le devoir du présent est de le transmettre intact à l’avenir.


III. — L’ASTREE.

L’Astrée a été écrite en beaucoup de lieux, au château de Virieu en Bresse, à la cour de Savoie, mais le paysage qu’elle décrit est celui de La Bâtie et des environs, les personnages qu’elle met en scène eurent pour la plupart leurs originaux dans les familles de cette région du Forez, les aventures qu’elle raconte se déroulèrent pour la plupart sur ces rives du petit Lignon ; le souvenir de ce livre reste donc associé aussi étroitement que possible à cette demeure, puisque c’est d’ici qu’en sortit l’inspiration.

Comme il est un peu d’habitude aujourd’hui de parler de l’Astrée avec un demi-dédain, je commence par condenser nettement en trois mots ce que je vais en dire : l’Astrée est un beau livre, un livre de haute portée, presque un grand livre, et en bonne foi il serait invraisemblable qu’il en fût autrement. Fades églogues, bucoliques artificielles, mièvreries sentimentales, voilà qui est bientôt dit ; cependant il nous semble que, pour avertir et retenir le jugement, il suffirait de se rappeler la fortune de cet ouvrage. C’est une des plus prodigieuses qu’il y ait jamais eu ; le succès même d’Orphée aux enfers de M. Offenbach n’a eu rien de plus universel. La vogue en fut si grande, qu’elle entraîna l’imitation directe des personnages mis en scène ; on sait l’histoire de cette société de seigneurs et dames d’Allemagne qui s’était formée en académie champêtre à l’instar des