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« L’esprit humain est comme un paysan ivre à cheval ; quand on le redresse d’un côté, il retombe de l’autre, » disait Luther, l’auteur premier de ces longues disputes ; la chapelle de La Bâtie en est une preuve assez singulière. On ne peut s’empêcher de remarquer qu’à force d’être précisé, le mystère finit par perdre tout caractère mystique, surnaturel et miraculeux, et par se matérialiser, pour ainsi dire. D’autre part, l’insistance extrême avec laquelle les artistes l’ont rattaché à l’antique sacrifice de chair et de sang lui enlève son caractère d’éternité et le transforme en un fait historique traditionnel qui est allé se développant et s’épurant à travers les âges. Ajoutez un certain effet très positivement matériel qui est produit par la multiplicité des images de substances propres à la nutrition ; il y a là tant de pains de propitiation, tant d’agneaux pascals, tant de rayons de miel, tant de manne et d’eau de rocher, que l’essor de l’imagination en est cloué à la terre, et qu’elle est conduite à assimiler la loi mystérieuse aux lois des fonctions les plus naturellement conservatrices de la vie. Claude d’Urfé cachait-il par hasard un rationalisme d’un genre particulier sous l’orthodoxie stricte dont témoigne cette chapelle ? Nous avons déjà dit que la contiguïté de la salle des bains laisse supposer qu’il considérait la religion comme l’hygiène de l’âme, opinion qui n’a rien d’hétérodoxe, pourvu qu’elle soit complétée par quelque chose de plus grand. Autre remarque que ne manquera pas de faire un visiteur attentif et subtil : au centre de la voûte est dessiné un triangle, et dans ce triangle sont inscrites les lettres initiales d’une devise à la louange de Dieu : D. M. O. S. (Deo maximo, optimo, sempiterno). Est-ce par l’effet d’un simple hasard que la disposition de ces initiales donne le mot mos, coutume ? Faut-il croire que l’orthodoxie de Claude d’Urfé reposait sur cette glorification de la tradition que nous venons de signaler ? Cela s’accorderait assez, il en faut convenir, avec cette insistance à rattacher le mystère à la chaîne des faits matériels et historiques qui peuvent en être considérés comme les figures. Je me hâte d’ajouter que ce n’est là qu’une conjecture toute personnelle, et que je ne la présente qu’à ce titre, le devoir d’un observateur philosophique étant de ne rien taire de ce qu’il voit ou croit apercevoir. Tout ce que j’ai voulu par la série de remarques qui précèdent, c’est montrer combien il est malaisé à l’esprit humain de se tenir ferme à un point donné, puisque, au moment même où le créateur de cette chapelle cherche à préciser le dogme de l’eucharistie avec une rigueur qui ne laisse aucune prise à l’hérésie, l’insistance de ses moyens de défense le pousse légèrement en dehors du cercle de sévère orthodoxie où il a voulu se renfermer.

Cette orthodoxie reste cependant très entière : la foi de Claude