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se murailles, des fresques de style sévère et de bonne exécution rappellent les faits figuratifs du grand mystère chrétien, le sacrifice d’Isaac, Melchisédech présentant les pains de propitiation, le sacrifice mosaïque de l’agneau, Samson déchirant le lion dans lequel il trouvera le lendemain le rayon de miel nourrissant, Élie nourri par l’ange, le repas pascal. Avais-je tort de dire que cette chapelle était une page encore toute vivante de l’histoire du XVIe siècle ? La doctrine eucharistique est là écrite dans sa rigueur la plus littérale.

À cette précision rigide, qui n’a voulu laisser aucune prise à l’esprit de dispute, aucun sens vague dont la subtilité de l’hérésie pût s’emparer, on reconnaît l’acharnement et l’ardeur des luttes théologiques de l’époque. Toutes les précautions ont été calculées pour qu’aucune équivoque ne fût possible et que le spectateur ne pût prendre le change ; le mystère qu’on adore et qui s’accomplit ici, disent ces peintures, ces sculptures, ces marqueteries, est tel que nous le représentons, et non pas tel que le proposent les hérétiques, qui le détruisent sous le prétexte de le simplifier. Ce n’est pas à cette seule rigidité littérale des doctrines qu’on sent dans cette chapelle la préoccupation de l’hérésie, car ces réfutations imagées ne sont pas toutes purement théologiques, et dans plus d’une on peut remarquer une expression de haine ou de menace. N’est-ce pas ces sentimens qu’il faut lire dans les bas-reliefs sculptés sur les deux faces latérales de l’autel, et dont l’un représente David coupant la tête à Goliath, et l’autre Pharaon enseveli avec son armée dans la Mer-Rouge ? Les impies périront comme Goliath, ils seront engloutis comme Pharaon, et par le même moyen, la force du divin mystère. Lorsque David marcha contre Goliath, ne portait-il pas avec lui pour ses frères la mesure de froment et les dix pains, présent de son père Isaï ? Ainsi triompheront ceux qui marchent au combat avec les armes de l’eucharistie. Lorsque les Israélites sortirent d’Égypte, n’échappèrent-ils pas sous la protection de la pâque qu’ils venaient de célébrer ? Ainsi échapperont au danger les croyans qui porteront en eux le corps et le sang du Christ. Très probablement aussi la fresque qui représente Samson déchirant le lion enveloppe quelque chose de ces menaces subtiles et voilées. Samson déchira de ses mains un lion qui s’élançait pour le dévorer, et le lendemain, repassant à l’endroit où il avait abandonné les lambeaux de la bête, il vit que les abeilles y avaient déposé un rayon de miel succulent. Ainsi l’hérésie s’est élancée sur l’église ; mais elle sera déchirée comme le lion, et lorsqu’on recherchera son corps, on trouvera dans ses entrailles le miel de l’eucharistie triomphante. C’est l’âme du concile de Trente en images non-seulement dans ses doctrines, mais encore dans ses passions.