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frappe, c’est que la place de cette chapelle est des plus singulières. Elle forme une des extrémités du corps de logis principal, et se trouve immédiatement contiguë à la salle des bains, de telle sorte que, pour y entrer et en sortir, il faut traverser cette dernière pièce. Il est bien vrai qu’au beau temps des d’Urfé cette chapelle s’ouvrait sur la cour, la place n’en reste pas moins fort bizarre, et cette bizarrerie ressort encore davantage par le contraste des décorations des deux pièces. Jamais les deux esprits qui, d’abord mêlés et amis, puis séparés et ennemis, composent toute l’histoire morale du XVIe siècle, la renaissance païenne et le christianisme théologique et disputeur, ne se sont trouvés plus étroitement en contact. Cette salle des bains est charmante ; disposée en forme de grotte, le pavé, les parois, la voûte, sont composés d’une marqueterie de petits cailloux et de fins graviers arrangés avec une négligence apparente ; contre la muraille principale, cette grotte se creuse en forme de niche, et aux côtés de cette niche des figures de naïades et de tritons formés de ces mêmes petits cailloux sortent de leur gaine de terre comme les divinités protectrices du lieu. Cela est d’une coquetterie et d’une élégance rustiques qui font penser à ces antres sacrés où les bergers de Daphnis et Chloé allaient, dans les derniers jours du paganisme, faire leurs dévotions aux nymphes locales ou appeler sur leurs amours la protection, du dieu Pan. Quatre grandes statues de marbre représentant les quatre saisons ajoutaient autrefois la richesse du grand art à la simplicité recherchée de cette décoration de ces statues, il ne reste que celle de l’Automne, représenté sous la forme d’un homme d’âge mûr, de corps maigre et musculeux, assis dans une attitude fière et presque agressive, foulant d’un pied dédaigneux les fruits qui s’échappent de sa corne d’abondance. Cette statue, par parenthèse, se présente avec un caractère quelque peu énigmatique ; est-elle bien réellement du XVIe siècle ? Il y a quelque quarante ans, un archéologue de la localité crut devoir l’attribuer à Coysevox ; on lui fit remarquer avec une justesse apparente qu’elle avait été décrite du temps même d’Anne d’Urfé par le franciscain Fodéré dans la relation historique qu’il a donnée des couvens de son ordre. Toutefois cette raison ne me semble pas sans réplique, et l’erreur de cet archéologue me paraît fort excusable, car cette statue porte tous les caractères de l’art français de la fin du XVIIe siècle. Rien ne prouve que cette statue soit la même que celle qui existait du temps d’Anne d’Urfé, car dans l’espace d’un siècle il peut arriver bien des aventures même à des effigies immobiles. Nous savons par exemple que, lorsqu’il était enfant, Louis, dernier des d’Urfé par droit d’aînesse et mort évêque de limoges, avait été pris d’une dévotion tellement ardente que,