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plusieurs endroits, il répond de tout point aux charmans tableaux dont il fait la bordure dans le roman de d’Urfé. Aux environs de La Bâtie, j’ai pu me convaincre qu’il était par places assez profond pour que Céladon eût pu s’y noyer ; à Boën, c’est une aimable rivière, coulant sur un lit de cailloux, qu’elle laisse transparaître sous la mince couche de cristal de ses eaux vives, limpides et rares, assez analogue à quelques autres rivières de ces régions, par exemple la Bèbre, qui passe à Lapalisse. Elle court en rase plaine ou dans des vallons partout ouverts, en sorte que ses rives n’ont rien d’escarpé ni de sauvage, et se prêtent à souhait aux promenades de bergers peu pressés ; Céladon et Hylas, Astrée et Diane, ont pu les parcourir sans fatigue, à petits pas, en discourant de métaphysique amoureuse et en prenant des temps de repos pour s’adresser les doux reproches de leurs cœurs. Le Lignon a enfin un autre mérite que je ne lui soupçonnais pas, celui d’être un véritable document historique et de renseigner avec une certaine probabilité sur l’origine d’une partie des populations de ces régions. Le Lignon, c’est, sous des formes très variées, mais parfaitement reconnaissables, le nom de quantité de rivières de la Franche-Comté, l’Ognon, la Lignotte ou Linotte, la Lison. Le hasard a voulu qu’avant d’aller en Forez je traversasse une partie de la Franche-Comté, et là un hasard plus grand encore me fait tomber sous les yeux un document que je ne cherchais pas et qui m’apprend qu’au moyen âge l’Ognon s’appelait le Lignon, ainsi qu’il ressort d’une charte latine du XIe siècle. Il n’y a pas seulement ressemblance entre ces noms, il y a identité absolue. Serait-ce donc en Franche-Comté qu’il faut chercher l’origine d’une partie de ces populations du Forez ?

Il faut l’y chercher en effet, et le nom de la petite ville de Boën, où le chemin de fer nous transporte de Montbrison en une demi-heure environ, conserve encore le souvenir du peuple qui s’y établit ou plutôt qui y fut établi autrefois, Boën, c’est-à-dire la cité des Boïens. Puisque nous sommes dans le pays même de l’Astrée, laissons ses personnages nous servir de guides. Voici ce que l’un d’eux, le berger Thamyre, nous rappelle sur ces lointaines origines. « Sachez donc, grande nymphe, qu’encore que nous soyons, Calidon et moi, demeurans dans ce proche hameau de Montverdun, nous ne sommes pas toutefois de cette contrée ; nos pères et ceux d’où ils sont descendus sont de ces Boïens qui jadis sous le roi Bellovèse se sortirent de la Gaule, et allèrent chercher de nouvelles habitations au-delà des Alpes, et qui, après y avoir demeuré plusieurs siècles, furent enfin chassés par un peuple nommé romain hors des villes bâties et fondées par eux, et parce qu’il y en eut une partie qui, étant privés de leurs biens, s’en allèrent outre la forêt Hyrcinie, où