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Anglais firent leur entrée dans Yarkand le 23 septembre, après quarante-huit jours de route. A la sortie des montagnes, M. Forsyth avait appris une fâcheuse nouvelle : l’athalik-ghazi était absent. Il était parti pour Aksou depuis le mois de mars avec tout ce qu’il avait pu réunir de soldats. Les Tounganes, maîtres de tout le pays compris entre Kouldja, Tourfan et Ouroumtsi, ne renonçaient pas encore à reprendre la Kachgarie, où se trouvent les villes les plus prospères du Turkestan. Ces rebelles, qui avaient commencé par expulser les Chinois, trouvaient fort mauvais que Yacoub et ses compagnons du Khokand fussent venus leur dérober la plus belle portion de leur conquête. On racontait alors à Yarkand que l’athalik-ghazi avait été victorieux, qu’il allait revenir bientôt dans sa capitale ; mais les instructions que M. Forsyth avait reçues avant de partir étaient formelles. Il lui était interdit de prolonger son séjour jusqu’à l’année suivante et par conséquent d’attendre Yacoub ou de se. rendre à son camp. Il dut donc revenir en toute hâte dans le Pendjab sans avoir obtenu le moindre résultat.

La Russie a montré plus d’adresse et d’empressement. Après s’être emparé de Kouldja, que les Tounganes, réduits à l’impuissance, faute d’un chef habile à les diriger, ne surent pas défendre, le général Kauffmann, gouverneur-général de Tachkend, a conclu un traité avec Yacoub-beg en 1872. Un consul russe réside maintenant à Kachgar afin d’y protéger les intérêts de ses nationaux. Il est possible au surplus que les indigènes du Turkestan oriental cherchent leurs débouchés au nord plus volontiers qu’au sud, parce que les montagnes sont moins hautes et que les caravanes ont de tout temps frayé la voie de ce côté. Pourtant l’ambassade que l’athalik-ghazi envoya à Constantinople en mars 1873 prit la route de l’Inde. Cette mission fut couronnée d’un plein succès : le sultan accorda un titre souverain à Yacoub-beg, qui s’intitule aujourd’hui l’émir Mohammed-Yacoub, khan de Kachgar. C’est la consécration définitive par le chef des vrais croyans de l’indépendance du nouvel état musulman. Le vice-roi saisit avec plus d’empressement cette nouvelle occasion d’entrer en rapports avec le vainqueur des Tounganes et des Chinois. Au retour de l’ambassadeur musulman, M. Douglas Forsyth repartit avec lui pour Yaïkand, accompagné d’une suite plus nombreuse et plus solennelle. Sous l’apparence d’un simple traité commercial, on peut deviner que la Grande-Bretagne ne négligera pas cette fois de s’assurer les avantages que la Russie a déjà obtenus. D’ailleurs Yacoub s’est montré jusqu’à ce jour trop intelligent et trop fin politique pour ne pas comprendre qu’il importe à la sécurité future de son royaume de tenir la balance égale entre ses deux puissans voisins.