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l’invitant à dire à son maître qu’il est sage de gouverner avec justice et prudent de ne pas se mêler aux querelles des nations voisines ; Lord Mayo ignorait peut-être à cette époque que Yacoub-beg fût déjà en négociation avec d’autres puissances européennes ; un neveu de ce monarque était depuis quatre ans à Constantinople pour solliciter l’appui du sultan en faveur des musulmans orientaux ; un autre délégué avait été jusqu’à Saint-Pétersbourg négocier l’appui ou la neutralité des Russes. L’ambassadeur venu à Calcutta n’était pas un simple diplomate ; il devait en outre acheter des armes, embaucher des ouvriers et, si c’était possible, ramener avec lui un officier anglais. Il obtint à peu près tout ce qu’il demandait. Un employé civil de l’administration du Pendjab, M. Douglas Forsyth, reçut mission de porter à l’athalik-ghazi les complimens amicaux du vice-roi. Ses instructions lui enjoignaient de s’abstenir de toute discussion politique ; voir Yacoub-beg dans sa capitale, recommander à sa bienveillance les caravanes venant du Cachemire, examiner le pays et les routes qui y conduisent, voilà le programme qui lui était tracé. De même que pour le voyage du major Sladen à Bhamo et Momein, l’objet exclusif de cette mission était en apparence d’établir des relations commerciales, et l’on semblait convaincu à Calcutta que cette nouvelle expédition serait d’autant meilleure qu’elle s’accomplirait avec moins d’apparat. Entrer en rapports intimes avec des souverains barbares, soupçonneux ou cruels, se disait-on, c’est s’exposer derechef à ce qui s’est passé en Abyssinie et ailleurs encore. L’ambassadeur est mis en prison, peut-être égorgé ; il faut alors une expédition militaire pour venger l’honneur national sottement compromis. Il suffit d’étudier l’histoire des gouverneurs-généraux, depuis lord Bentinck jusqu’à lord Dalhousie pour se convaincre que, s’ils avaient eu tant de prudence, l’empire indo-britannique n’aurait jamais acquis sa grandeur actuelle.

M. Forsyth emmenait avec lui M. Shaw, revenu depuis quelques mois d’un premier voyage à Yarkand, et le docteur Henderson, médecin et naturaliste distingué. M. Hayward, qui connaissait aussi ces montagnes, se proposait de rejoindre la mission par une autre voie. Par malheur il fut assassiné peu de jours après dans la vallée de Ghilgit. Le maharajah de Cachemire s’était chargé de fournir des vivres et des bêtes de somme. Ce n’était pas une petite affaire, car l’envoyé anglais, outre son escorte, était accompagné par l’ambassadeur de l’athalik-ghazi et par plusieurs pèlerins musulmans qu’attirait la piété bien connue du nouveau souverain de Yarkand. La caravane partit de Leh le 7 juillet 1870. C’était un peu tard, puisqu’on voulait être de retour avant l’hiver et que les passes du Karakorum sont interceptées par les neiges dès le mois de novembre. Le voyage fut long et pénible, comme on devait s’y attendre. Les