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Constantinople. La contrée, où sont survenus ces événemens remarquables rappelle assez bien par sa disposition géographique l’Eldorado des romanciers, car elle est bornée sur trois côtés par de hautes montagnes et du quatrième par un désert. Nos anciennes cartes la désignent sous le nom de Petite-Boukharie, ce qui n’a aucun sens, ou de Tartarie chinoise, ce qui est inexact maintenant, puisque les Chinois en ont été expulsés ; il est mieux de l’appeler le Turkestan oriental ou Kachgarie, du nom de sa capitale actuelle. C’est une large vallée d’une élévation de 1,200 mètres au plus au-dessus du niveau de la mer. La rivière qui l’arrose, le Tarim, se jette dans une mer intérieure, le Lobnour, ou se perd au milieu des sables. Quoique l’air soit très sec et qu’il n’y pleuve presque jamais, les nombreux affluens de cette rivière sont abondamment alimentés par la fonte des neiges et des glaciers. Le sol, sablonneux, ne manque pas de fertilité lorsqu’il est possible de l’irriguer. La végétation ressemble à celle de l’Europe moyenne ; nos saules et nos peupliers poussent au bord des ruisseaux ; les montagnes renferment des richesses minérales, du cuivre, de la houille et surtout la précieuse pierre de jade, que les Chinois taillent aujourd’hui avec art et que les peuplades antéhistoriques recherchaient déjà pour en faire leurs meilleures haches de combat. Enfin il n’est pas de pays plus salubre au monde. Ainsi doté par la nature, le Turkestan oriental possède encore l’avantage d’être sur la route des caravanes qui circulent entre la Chine et la Transoxiane. Les sables du désert de Gobi et les passes des monts Thian-shan sont en effet moins inhospitaliers que les steppes glacées de la Sibérie ; aussi les villes d’Aksou, Yarkand, Kachgar, sont-elles connues des grands voyageurs du moyen âge et des temps modernes. Toutefois ce n’est qu’en ces derniers temps que les Européens ont-obtenu la permission d’y pénétrer de nouveau. On va voir quelles révolutions leur en avaient interdit l’accès jusqu’alors.

Il importe peu de savoir que la Kachgarie appartint jadis au roi Cambyse et fut conquise par Alexandre. Les points essentiels à connaître sont que la population est turque d’origine, qu’elle fut convertie à l’islamisme peu après la Transoxiane, et que vers le XIVe siècle une bande de mahométans fanatiques, — on les appelait des Khodjas, — venus de la Boukharie, s’emparèrent du pouvoir. Entre les Turcs de Kachgar et les Chinois, il y avait toujours eu d’intimes relations. De la grande muraille de la Chine aux monts Thian-shan, les caravanes opéraient un mélange continuel entre des peuples de races diverses. La guerre de rapines, comme on la fait au cœur de l’Asie, avec l’esclavage qui en est la conséquence, déplaçait les populations tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Il en advint que bon nombre de Chinois se fixèrent dans le Turkestan oriental, que par compensation les provinces chinoises de Kansou et de Chensi