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les négocians de la Grande-Bretagne. Moins favorisés que MM. Hue et Gabet, qui avaient du moins pénétré jusqu’à Lhassa quinze années plus tôt, le Thibet leur est fermé. Qu’elle est la cause de cette exclusion persistante ? Que la Chine n’ait pas accepté de bon cœur le contact des nations civilisées de l’Occident, on n’en saurait douter : vaincue, elle s’est soumise ; mais les mandarins s’entendent pour reprendre par la ruse une partie des concessions que la force leur a arrachées. Il n’est donc pas étonnant déjà qu’ils répugnent à nous ouvrir le Thibet, sur lequel ils n’exercent au surplus qu’une autorité mal définie. En outre le Thibet subit de son côté une transformation singulière ; tous les voyageurs sont d’accord là-dessus, depuis MM. Hue et Gabet jusqu’à M. Desgodins. Il y a deux partis en présence : les lamas et leur chef, le talaï-lama, qui prétendent conserver le régime théocratique ; en face d’eux le peuple, qui veut s’affranchir de leur domination, et que le roi temporel soutient de son mieux. Les lamas sont hostiles, on le pense bien, à la prédication chrétienne, qui diminuerait leur influence, tandis que les hommes du commun accueilleraient volontiers nos missionnaires. De temps en temps, cet antagonisme de classes se traduit par des révoltes que les légats impériaux aident à comprimer. Cette situation incertaine se dénouera un jour ou l’autre par une révolution complète dont les lamas seront sans doute victimes, à moins toutefois que le Thibet ne soit avant cela la proie d’une invasion étrangère. C’est un royaume qui se démembre. Le maharajah de Cachemire, un vassal de la Grande-Bretagne, s’est approprié le Ladak il y a moins de vingt ans. Tout à fait au nord, dans la région presque inconnue du Koukhounour, s’agitent des tribus mogoles qui n’ont au fond qu’un médiocre respect pour leur chef religieux, le talaï-lama, et pour tous les lamas qui vivent à leurs dépens. Les Mogols ont l’esprit de conquête, on le sait : ils sont assurément mal organisés de nos jours ; mais ne sont-ils pas devenus les voisins de la Russie, qui peut trouver quelque jour son avantage à les pousser dans cette direction ?


III

Dans cette revue rapide des divers états de l’Asie centrale, nous n’avons trouvé jusqu’à présent que des dynasties chancelantes et des insurrections qui commencent par être victorieuses pour finir par être battues. La frontière nord-est de l’Inde va nous présenter un spectacle nouveau, c’est-à-dire la création d’un royaume musulman dont le chef, après une lutte acharnée, reste maître incontesté de ses états, et bien plus obtient l’investiture des deux grands pontifes de l’islamisme, le khan de Bokharaet le sultan de