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inexact, sans qu’il soit besoin d’autre preuve que la faible densité de la population. Avec un territoire deux fois grand comme la France, il n’y existe pas, paraît-il, plus de 4 millions d’habitans. De quelle souche cette population est-elle issue ? Elle est assurément de race jaune, plutôt mogole que chinoise. Sur la frontière orientale, dans les montagnes qui bornent à l’ouest la province de Szechuen, se retrouvent en outre des tribus primitives, analogues à celles que l’on rencontre sur les confins du Yunnan et de la Birmanie. Sous le rapport de la religion, tous les Thibétains sont bouddhistes, sans doute avec des croyances plus vives que n’en ont leurs coreligionnaires du Céleste-Empire, puisqu’ils supportent depuis fort longtemps un gouvernement théocratique. Les couvens sont innombrables : Lhassa est le principal sanctuaire du lamamisme. Ce que l’on peut dire de cette contrée avec le plus de certitude, c’est qu’elle est le pays le moins connu du globe. De nombreux explorateurs anglais ont tenté d’y pénétrer, soit par l’Inde, soit par la Chine ; aucun d’eux n’y a réussi. Tout au plus les officiers chargés d’opérations trigonométriques dans l’Himalaya ont-ils pu y envoyer quelques Hindous, dressés tant bien que mal aux observations exactes. Les missionnaires français ont été parfois plus heureux. On n’a pas oublié le voyage à Lhassa de MM. Hue et Gabet en 1846. A une époque plus récente, nos zélés compatriotes ont créé quelques centres de propagande sur le territoire du talaï-lama ; mais, outre qu’ils s’adonnent rarement aux recherches scientifiques, il ne leur a plus été permis de s’avancer à l’intérieur du pays. Un fait assez singulier dans l’état présent de nos connaissances géographiques montre bien à quel point la carte du Thibet est incertaine : on ignore encore par quelle voie le Tsang-bo, le plus grand cours d’eau de cette contrée, s’écoule à la mer. Les uns prétendent que cette rivière se jette dans l’Irawady, d’autres la dirigent vers le Brahmapoutra, et, bien que cette dernière opinion soit la plus vraisemblable, il est juste d’ajouter qu’elle ne s’appuie sur aucune observation directe.

L’histoire ancienne du Thibet, bien obscure encore, serait dépourvue d’intérêt. Pour comprendre la situation politique actuelle, il est inutile de remonter plus loin que les premières années du XVIIIe siècle. En 1703, un général chinois, s’étant emparé de Lhassa, y établit la forme de gouvernement qui a subsisté jusqu’à ce jour. Le talaï-lama, souverain maître du pays et en même temps chef spirituel des bouddhistes thibétains et mogols, passe pour être une incarnation de la Divinité, superstition d’autant plus bizarre que les lamas ne peuvent l’installer qu’après qu’il a reçu un diplôme de l’empereur de la Chine. A côté de lui, un roi temporel, quatre ministres et seize mandarins, constituent une sorte de