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préfèrent s’abstenir. Le clergé se trouve ainsi plus protégé que l’administration, et l’église que le gouvernement. Les questions religieuses, celles même qui n’ont trait qu’à l’éducation ou à la situation matérielle du clergé, sont rarement débattues, ou ne le sont que sous un contrôle gênant. Il en résulte une sorte d’unanimité extérieure, factice, aussi peu profitable à l’église qu’à l’état. La censure synodale étant composée de moines, l’esprit monastique y prédomine, et le clergé marié, le clergé paroissial se trouve plus encore que les laïques entravé dans l’exposition des griefs ou des vœux qui lui sont propres. Au lieu d’être toujours asservie à l’état, l’église s’est en cette matière parfois servie de l’autorité publique dans des vues qui n’étaient ni celles de la nation, ni toujours celles du pouvoir. Avec la faveur de l’opinion, et même des hautes régions gouvernementales, le clergé inférieur et ses avocats ont souvent été obligés d’avoir recours à des moyens détournés, à des récits romanesques ou à des livres imprimés à l’étranger. La censure privilégiée de l’église a été ainsi parfois un obstacle à sa réforme. Dans l’état actuel des mœurs politiques de l’empire, on n’en saurait espérer la suppression ; ce qui serait à désirer, c’est qu’elle fût réduite à un contrôle disciplinaire du clergé orthodoxe.

Grâce au saint-synode, l’église russe est probablement la plus centralisée du monde. Obligés à d’incessantes relations avec le pouvoir central, les évêques sont devenus une sorte de préfets ecclésiastiques. L’empereur ne les nomme pas de sa seule initiative : c’est le synode qui les propose. Il présente trois candidats, et d’ordinaire le souverain désigne le premier sur la liste. Les Russes se flattent d’avoir ainsi mis d’accord les droits et les intérêts des deux pouvoirs. Les diocèses, les éparchies, comme disent les orthodoxes, sont en général délimités sur les gouvernemens civils. L’empire en compte aujourd’hui soixante, divisés en trois classes. Dans certaines régions, ces diocèses sont plus grands que la France ou l’Italie. Ils comptent en moyenne près d’un million de fidèles. A cet égard, l’église russe est en contraste avec l’église grecque, où chaque bourgade a son évêque. De ces soixante éparchies, trois ont le titre de métropolies, dix-neuf celui d’archevêchés. Comme en Occident, ces titres ne correspondent plus à une juridiction réelle, ils indiquent un rang, non une fonction. Il n’y a plus de suffragans, les métropolites ont seulement des évêques-vicaires, et quelques autres prélats des coadjuteurs. Il ne reste dans l’empire qu’une province ecclésiastique, ce sont les cinq diocèses qui forment l’exarchat de Géorgie ; partout ailleurs les évêques dépendent uniquement du synode. Les titres de métropolite et d’archevêque ne sont pas toujours portés par le prélat assis sur les sièges auxquels ils appartiennent. Le gouvernement ou le synode n’accorde souvent la dignité qu’après