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indigènes, Birmans, Shans ou Chinois, se soumettaient sans mot dire à ces exactions ; les Européens ne les supporteraient pas, ils appelleraient l’intervention étrangère. On s’en aperçoit une fois de plus, au midi comme au nord, à l’est comme à l’ouest, qu’il s’agisse de politique ou de commerce, entre un gouverneur européen et les monarques indigènes il y a toujours une sorte d’incompatibilité. Les Anglais n’avaient jadis qu’un moyen de résoudre cette difficulté : ils annexaient. Effrayés à la longue de l’étendue des domaines que ce système leur a procurés, ils emploient maintenant des procédés plus doux. Réussiront-ils ? L’expérience est trop neuve pour que l’on puisse l’affirmer.

Le major Sladen emmenait avec lui le capitaine Williams, du corps des ingénieurs, le docteur Anderson, conservateur du musée de Calcutta, en double qualité de médecin et de naturaliste, et trois négocians anglais de Rangoun qui voulaient examiner par eux-mêmes en quoi consistait le trafic des provinces centrales, plus une escorte de 50 soldats indigènes. Après bien des pourparlers, après avoir affirmé que l’Irawady n’était pas navigable en amont de Mandalay à cette époque de l’année, l’empereur leur prêta d’assez bonne grâce son propre bateau à vapeur pour remonter le fleuve jusqu’à Bhamo, ce qui se fit sans accident, bien qu’officiers, mécaniciens et matelots de ce navire fussent tous Birmans. Ne se sent-on pas déjà prévenu en faveur de ces prétendus barbares en apprenant qu’ils savent manœuvrer une machine à vapeur ? L’expédition arrivait donc à Bhamo le 22 janvier 1868 après neuf jours de voyage. Cette ville, située sur la frontière de la Birmanie, contient des échantillons de toutes les populations d’alentour. Les Chinois y ont des comptoirs d’où ils expédient des caravanes à leurs compatriotes du Yunnan. Les Shans, d’allure pacifique, et les Kakhyens, plus sauvages, s’y viennent ravitailler des objets qu’ils trouvent bon d’emprunter à l’industrie des pays civilisés. En réalité, Bhamo est un petit entrepôt où arrivent avec plus ou moins d’abondance les marchandises de tout l’univers ; on prétend y avoir trouvé des objets de fabrique russe parvenus jusque-là par la Sibérie, la Mongolie et la Chine. Comme l’Irawady prend ensuite son cours vers le nord, c’est en cet endroit que commence la voie de terre. Le plus embarrassant pour les voyageurs anglais était de se procurer des moyens de transport. Les autorités birmanes avaient sans doute des instructions secrètes : elles ne les y aidaient nullement, espérant toujours qu’ils n’auraient pas la persévérance d’aller plus loin. Fatigués d’attendre, ils eurent l’adresse de se concilier le bon vouloir des chefs kakhyens, et réussirent, par leur entremise, à transmettre un message au commandant de Momein, poste panthay le plus