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certainement l’un des faits les plus curieux de la conquête anglaise dans les Indes. Le Pégou se soumit au reste sans difficulté ; sous le régime britannique, il devint prospère. Le souverain birman n’eut garde de protester. Seulement lord Dalhousie, tout puissant qu’il fût, ne pouvait exiger que le commerce fort considérable dont l’Irawady est le chenal ne reçût aucune atteinte par ces changemens politiques. Ce commerce, auquel le port de Rangoun sert d’entrepôt, se chiffrait annuellement avant la conquête par 12 ou 15 millions de francs. On le vit décliner peu à peu, sans que l’on en connût bien la cause. Les négocians anglais s’en émurent, d’autant plus qu’ils espéraient ouvrir par là des débouchés non-seulement à la Birmanie, qui est un état de médiocre importance, mais encore aux provinces méditerranéennes de la Chine, où les habitans se comptent par millions. Jusqu’à présent, ces provinces ont expédié leurs produits par une longue navigation fluviale sur Shanghaï ou Canton, d’où il faut encore faire la moitié du tour du monde pour les ramener en Europe. D’ailleurs les Anglais sont en concurrence sur les côtes de la mer orientale avec les trafiquans de toutes les nations civilisées. Les Américains du nord surtout s’y présentent avec avantage depuis que le chemin de fer du Pacifique leur raccourcit la distance. Quel intérêt n’y aurait-il pas à détourner sur Rangoun, un port anglais, le courant commercial de la Chine intérieure ! Ce projet n’est pas un rêve, puisque une partie du trafic suit la voie de l’Irawady depuis un temps immémorial. Ne peut-on le développer davantage, y intéresser le roi de Birmanie, créer à travers cet état presque barbare des routes, peut-être même des chemins de fer ? Avant de dire quelles tentatives ont été faites dans ce sens depuis quelques années, il convient d’examiner d’abord ce qu’est cette Chine occidentale que l’on prétend mettre en rapports habituels avec le golfe du Bengale.

Le Yunnan, qui termine au sud-ouest l’empire du Milieu, est un pays montueux, de 1,800 à 2,000 mètres d’altitude ; où s’étalent les derniers contre-forts du vaste plateau thibétain ; Les principaux fleuves de la Chine et de l’Indo-Chine prennent naissance dans cette province ou dans le voisinage. Les eaux qu’elle reçoit du ciel s’écoulent en effet vers l’orient par le Yang-tsé-kiang et par la rivière de Canton, vers le sud par le Mékong, le Salouen ou l’Irawady ; à l’ouest, quelques petits affluens apportent leur tribut au Brahmapoutra, qui débouche, on le sait, dans le golfe du Bengale, par le même estuaire que le Gange. Calcutta, Rangoun, Bangkok, Saigon, Canton, Shanghaï, c’est-à-dire tous les grands ports de l’Asie, sont donc symétriquement disposés sur une circonférence dont le centre est dans le Yunnan, et dont ces divers fleuves représentent les