Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspirée de Shelley ? l’influence du poète anglais est sensible dans tout le volume. Aussi bien, s’il eût vécu de notre temps, Shelley eût été l’interprète prédestiné du naturalisme. Ce Nuage est tout un symbole de la doctrine de révolution. Son histoire n’est-elle pas celle même des forces éternelles en circulation dans le Cosmos, qu’aucune forme ne limite, qu’aucun temps n’épuise, qu’aucun être ne contient, qu’aucun système, aucune formule ne définira jamais, qui échappent à la mort, et pour qui la naissance même n’est qu’une transformation ? « Je change, mais je ne puis mourir, » dit le nuage :

Levez les yeux, c’est moi qui passa sur vos têtes,
Diaphane et léger, libre dans le ciel pur ;
L’aile ouverte, attendant le souffle des tempêtes,
Je plonge et nage en plein azur.


Le voilà ; il flotte et voyage comme un mirage serrant. L’aurore et le soir le colorent tour à tour. Il est calme et doux comme une vision heureuse. Regardez, maintenant c’est la tempête et l’horreur.

On croirait voir au loin une flotta qui sombre,
Quand d’un bond furieux fendant l’air ébranlé
L’ouragan sur ma proue inaccessible et sombre
S’assied, comme un pilote ailé.


La ruine et la mort ont passé sur les cités humaines. Voici maintenant la pluie bienfaisante et la divine fécondité des champs :

Sur le sol altéré, je m’épanche en ondées,
La terre rit ; je tiens sa vie entre mes mains.
C’est moi qui gonfle au sein des plaines fécondées
L’épi qui nourrit les humains.
Où j’ai passé, soudain tout verdit, tout pullule :
Le sillon que j’enivre enfante avec ardeur.
Je suis onde et je cours, je suis sève et circule,
Caché dans la source ou la fleur.

Un fleuve le recueille ; mais un désir irrésistible semble le pousser plus loin toujours vers un but inconnu ; il vole à ce but « comme un grand trait liquide qu’un bras invisible a lancé. » C’est l’océan qui l’appelle, qui l’attire, qui l’absorbe amoureusement.

Océan, ô mon père ! ouvre ton sein, j’arrive !
………….
Mais le soleil, baissant vers toi son œil splendide,
M’a découvert bientôt dans tes gouffres amers.
Son rayon tout-puissant baise mon front limpide :
J’ai repris le chemin des airs.