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l’âge de l’innocence, elle a subi l’attrait de la science. Elle offre à l’homme, son compagnon de route et d’exil, la vérité enfin conquise après tant de siècles d’illusions douloureuses ; elle l’a vu tant de fois se révolter contre la dure loi de l’épreuve, contre la souffrance, contre la mort, contre l’amour, parfois pire que la mort, contre Dieu surtout, qui lui inflige tant de supplices, que sa toute-puissance pouvait lui épargner. Elle lui apporte cette consolation suprême, le grand mot : « rassure-toi, Dieu n’est pas. » Elle pense que l’homme va se réjouir enfin, que sa conscience affranchie des peurs serviles va respirer à l’aise sous un ciel désert. Comme Éloa, elle lui dit : « Seras-tu plus heureux, du moins es-tu content ? » Et l’homme aussi lui répond : « Plus triste que jamais. »

C’est bien là l’impression qui règne dans les chants où le poète annonce et célèbre l’avènement des doctrines nouvelles. On pourrait presque dire que c’est l’inspiration unique de cette singulière poésie, monotone, puissante pourtant par la profondeur des sentimens et la mélancolique beauté des images. Si c’est la vérité qu’elle révèle, pourquoi donc si peu de joie et si peu d’amour ? Est-ce que le signe sensible de la vérité n’est pas l’ivresse de l’avoir conquise et le bonheur de la posséder ? Eh bien ! lisez cette page où, pour la première fois, le positivisme a été défini en beaux vers. Le poète triomphe des dernières conquêtes de la raison et de la science, mais quel triomphe morne et quelle peinture de l’expiation !

Il s’ouvre par-delà toute science humaine
Un vide dont la foi fat prompte à s’emparer.
De cet abîme obscur, elle a fait son domaine ;
En s’y précipitant, elle a cru l’éclairer.
Eh bien ! nous t’expulsons de tes divins royaumes,
Dominatrice ardente, et l’instant est venu.
Tu ne vas plus savoir où loger tes fantômes ;
Nous fermons l’inconnu.
Mais ton triomphateur expiera ta défaite.
L’homme déjà se trouble, et, vainqueur éperdu,
Il se sent ruiné par sa propre conquête ;
En te dépossédant, nous avons tout perdu.
Nous restons sans espoir, sans recours, sans asile,
Tandis qu’obstinément le désir qu’on exile
Revient errer autour du gouffre défendu.

Le poète ne retrouve un peu de calme que dans les rares instans eu il oublie l’homme pour contempler la nature dans ses perpétuelles métamorphoses. Il s’élève alors à une sorte de quiétisme scientifique ; mais il ne s’y complaît pas et ne s’y arrête pas longtemps. Dans cet ordre d’idées, nous avons remarqué la pièce intitulée le Nuage,