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elle ne pourra l’absoudre, et le rejettera. Ce : sera le vengeur promis à la détresse de Prométhée :

Délivré de la foi comme d’un mauvais rêve,
L’homme répudiera les tyrans immortels,
Et n’ira plus, en proie à des terreurs sans trêve,
Se courber lâchement au pied de tes autels.
Las de le trouver sourd, il croira le ciel vide.
Jetant sur toi son voile éternel et splendide,
La nature déjà, te cache à son regard ;
Il ne découvrira dans l’univers sans borne
Pour tout dieu désormais qu’un couple aveugle et morne,
La Force et le Hasard.
Montre-toi, Jupiter, éclate alors, fulmine
Contre ce fugitif à ton joug échappé.
Refusant dans ses maux de voir ta main divine,
Par un pouvoir fatal il se dira frappé.
Il tombera sans peur, sans plainte, sans prière,
Et quand tu donnerais ton aigle et ton tonnerre
Pour l’entendre pousser au fort de son tourment
Un seul cri qui t’atteste, une injure, un blasphème,
Il restera muet ; ce silence suprême
Sera ton châtiment.


Prométhée n’est qu’une belle imprécation y mais c’est tout un drame lyrique, en quatre parties, que Mme Ackermann a consacré à la grande figure et au grand nom de Pascal. Le Sphinx, la Croix, l’Inconnue, le Dernier Mot, voilà les divisions de cette œuvre, la plus étendue et l’une des plus hardies du livre. Ici. d’ailleurs l’audace des anathèmes redouble : ils ne s’adressent plus à un dieu mythologique, à un dieu de convention, au vainqueur des titans ; ce ne sont plus des foudres inoffensives que le poète va provoquer. Ses coups portent plus haut ; c’est jusqu’au Dieu de l’Évangile que remontent les ardentes apostrophes de son impiété exaspérée. C’est la croix qu’il veut abattre, la croix libératrice qui s’élève à ce sommet sublime où se fait le partage des deux mondes, le monde antique avec l’esclavage et la haine, le monde moderne avec l’égalité des âmes et la loi de l’amour. Tout cela ne satisfait pas le poète, et s’il faut accepter la sombre alternative posée par Pascal : croire ou désespérer, eh bien ! il désespérera ; mais d’abord il décrit en traits superbes la lutte de Pascal avec le sphinx. Dans ce pâle et frêle chrétien qui l’a défié, le sphinx est tout surpris de trouver un athlète héroïque.

Quels assauts ! quels élans ! Jamais lutte pareille
Ne s’était engagée à la clarté des cieux !
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