Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouver entièrement dans ces hommes du moyen âge dont les idées et les croyances étaient si différentes des nôtres ; mais la France moderne commence avec la renaissance. Les problèmes qui se posent alors sont ceux que nous cherchons encore à résoudre, et nous nous débattons tous les jours contre les difficultés qu’ont rencontrées devant eux les gens de cette terrible époque. M. Guizot nous les dépeint en les faisant parler eux-mêmes, c’est-à-dire en citant autant qu’il le peut leur correspondance et leurs mémoires : c’est une façon de les placer vivans devant nous. Quand nous les voyons agir, quand nous les entendons parler, nous nous apercevons que ce ne sont pas des inconnus. L’imprévoyance avec laquelle sont conduites les brillantes et fatales expéditions d’Italie, la valeur qu’on y déploie et les fautes qu’on y commet nous font croire qu’il est question de récits contemporains. N’est-ce pas hier qu’on nous abusait de paroles comme celles que Bonnivet adressait à François Ier devant Pavie, pour l’entraîner à livrer bataille : « Nous autres Français n’avons accoutumé de faire la guerre par artifices militaires, mais à belles enseignes découvertes. Nos rois portent la victoire avec eux, comme notre petit roi Charles VIII au Taro, notre roi Louis XII à Agnadel, et notre roi qui est ici à Marignan. » C’est donc bien de nous et de notre France qu’il s’agit dans ce volume ; aussi le lisons-nous non-seulement avec une vive curiosité, mais avec une sorte d’intérêt douloureux, comme des gens qui se sentent mêlés eux-mêmes à ces luttes d’autrefois, et qui reconnaissent dans cette histoire du passé toutes les inquiétudes et toutes les souffrances du présent.

Les querelles de religion remplissent le XVIe siècle ; M. Guizot n’a guère fait dans son troisième volume que raconter celles qui ont ensanglanté la France. Ce qui frappe le plus dans le récit qu’il en a tracé, c’est la haute impartialité de l’écrivain. On pouvait croire que ce mérite coûterait quelque peine à M. Guizot. Ce sont les indifférens qui se trouvent le plus à leur aise pour apprécier les luttes religieuses : il est aisé d’être juste pour les combattans quand on n’a pas d’intérêt dans le combat. On sait au contraire que M. Guizot est un chrétien sincère et ardent, et il a donné des preuves de ses convictions dans des ouvrages qu’on n’a pas oubliés. L’un des deux partis qui se font alors la guerre est le sien, et c’est la liberté de sa foi qui se décide sur les champs de bataille. Cependant son impartialité est complète, il n’a d’antipathie ou de complaisance pour personne, et nulle part cette époque n’avait été encore aussi équitablement jugée que dans son ouvrage.

Sans doute, il voit la naissance du protestantisme avec une sympathie qu’il ne cherche pas à cacher ; il assiste en esprit à ces conférences pieuses entre Lefèvre-d’Étables et Guillaume Farel, où le vieux maître disait à son disciple en lui prenant la main : « Dieu renouvellera le monde, et vous le verrez ! » Il ne dissimule pas sa vive admiration pour Calvin, « qui était à la fois le plus hardi et le moins révolutionnaire des