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qui est le premier intéressé après le pays, n’y sont pour rien, n’y peuvent rien. La situation ne reste pas moins telle qu’elle a été créée. La faiblesse du ministère a été de vouloir tout ménager, de ne pas se prononcer assez promptement et assez nettement, de laisser grossir et se propager des ambiguïtés contre lesquelles il est aujourd’hui réduit à réagir par des circulaires, des « communiqués » et des menaces qui n’intimident guère personne, qu’on brave ou qu’on élude. Le ministère, avec l’état de siège et les répressions judiciaires, ramenât-il au silence les journaux qui ne cessent de se livrer à une guerre d’interprétations captieuses contre l’institution même du gouvernement, il n’empêcherait pas de parler les députés qui envoient des consultations à ces journaux comme M. Lucien Brun, qui écrivent des lettres comme M. Ferdinand Boyer et M. de La Rochette. M. Lucien Brun, le conseiller ordinaire de M. le comte de Chambord, continuerait à déployer dans sa politique un talent d’avocat expert aux subtilités de procédure. M. de La Rochette persisterait dans ses singulières récriminations et dans ses regrets de ne pouvoir disposer de M. le maréchal de Mac-Mahon.

Est-il donc si difficile de s’en tenir à la vérité des choses et aux modestes inspirations du bon sens ? Supposez un instant un peu de bonne volonté, quelque prévoyance chez ceux qui font de la politique et même, si vous voulez, une certaine abnégation : quoi de plus simple que la situation actuelle ? Mais c’est là le malheur : il y a eu trop de mystères, trop de diplomatie, et maintenant à mesure que se révèlent les caractères, les conséquences de cette situation, c’est une véritable explosion de plaintes, de récriminations, de défis, de désaveux. Évidemment les intrépides champions de la légitimité, les chevau-légers, avaient leur manière à eux d’entendre la loi du 20 novembre. La promesse des lois constitutionnelles leur paraissait une bonne plaisanterie. Ils croyaient et ils avaient sur ce point, disent-ils, l’assurance des « personnes les plus autorisées, » que la prorogation était tout bonnement une arme contre le radicalisme, que la majorité de l’assemblée restait toujours libre, que M. le maréchal de Mac-Mahon ne serait jamais un obstacle au retour de la monarchie dès qu’il serait possible de la proclamer. Eh quoi ! ce n’était donc pas vrai ? Voilà que les « personnes les plus autorisées » nient absolument les démarches qu’on leur prête, et M. le garde des sceaux Depeyre signe des circulaires contre ceux qui font la guerre au septennat, et M. le vice-président du conseil, nous « ramenant au message du 13 novembre 1872, » dit plus brutalement que M. Thiers aux royalistes : « Laissez là toute espérance ! » De là cette manifestation ininterrompue, assez monotone et passablement comique, de surprise et de dépit. Les légitimistes qui conduisent cette campagne semblent ne pas s’en douter : ils montrent qu’ils se faisaient à eux-mêmes un bien singulier rôle et qu’ils préparaient à M. le président de la république un rôle plus