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saint-synode, un prélat moscovite ayant demandé à l’empereur s’il n’y aurait plus de patriarche, Pierre lui répondit : « C’est moi qui suis votre patriarche[1] ! » Quand le mot serait vrai, de pareilles saillies ne sont pas à prendre à la lettre. Tout autres sont les prétentions professées par le gouvernement et les théories enseignées dans ses écoles. On a vu, il y a quelques années, le synode de Pétersbourg et la presse russe se joindre au patriarche de Constantinople pour représenter au gouvernement de Bucharest que, dans ses projets de constitution pour l’église roumaine, il outre-passait les droits du pouvoir civil et violait les canons des conciles. Dans les catéchismes russes, les tsars sont simplement appelés principaux curateurs et protecteurs de l’église.

Loin de se regarder comme les papes de leur clergé, les tsars ne revendiquent aucun rang dans la hiérarchie. Il n’est qu’un empereur qui ait jamais prétendu à des fonctions ecclésiastiques : c’est le malheureux Paul Ier, qui prenait sans doute le sacre impérial pour une ordination. Un jour, dit-on, il eut envie de célébrer la messe, et, pour l’en dissuader, il fallut lui rappeler qu’il s’était marié deux fois, ce que l’orthodoxie interdit à ses prêtres. Le pauvre fou eût aussi bien pu dire la messe en qualité de grand-maître de l’ordre de Malte qu’en qualité de chef de l’église russe. Le tsar n’a aucun caractère ecclésiastique, il n’a rien d’un pontifex maximus à la manière antique. Tous ses droits vis-à-vis de l’église lui viennent de son pouvoir, civil ; ce n’est pas comme chef du clergé, c’est comme chef de l’état qu’il intervient dans l’administration ecclésiastique. Dans l’intérieur du temple, au lieu de recevoir des hommages des prêtres, l’empereur leur en rend. Selon l’usage russe, il baise la main du pope. On raconte qu’un curé de village, hésitant à tendre sa main aux lèvres d’un grand-duc qu’il était venu recevoir à la porte de son église, le prince impatienté lui dit : « Allonge donc ta patte, imbécile ! » Un tel hommage peut sembler tout extérieur, parfois presque dérisoire ; comme beaucoup d’actes de religion, en devenant habituel, il est devenu machinal : il n’en a pas moins de signification et marque, clairement la vraie position du souverain vis-à-vis du clergé.


II

Il nous faut maintenant examiner le mécanisme intérieur de l’administration ecclésiastique. Au point de vue civil, le saint-synode

  1. Nicolas Polévoï, Istoria Petra Vélikago ; Tondini, The Roman Pope and the Eastern Popes.