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de Dieu. Dans cette moquerie de toutes les religions, le christianisme, n’en doutez pas, est sournoisement enveloppé. Seuls, les dieux de la Grèce prononcent avant de mourir quelques fières paroles, et arrachent au bonhomme Antoine ce cri d’admiration : Comme c’est beau ! comme c’est beau !

Faut-il poursuivre notre lecture ? Ce rayon de soleil qui tombe sur le front de Jupiter et sur le glaive de Mars indique-t-il que de ce chaos une idée quelconque se dégagera ? L’auteur a-t-il un regret, un amour, un idéal ? Un instant, quand il nous montre la croix plantée près de la cabane d’Antoine grandissant tout à coup, perçant les airs et projetant sur les dieux de la Grèce une ombre qui les fait tous mourir, j’ai cru qu’il allait protester contre la mort de l’Olympe. Idée absurde aux yeux du philosophe et qui révolte le chrétien, idée excusable, littérairement parlant, chez l’artiste enivré des beautés de la forme ! L’enthousiasme après tout, fût-il erroné, vaut mieux que cette perpétuelle ironie sous un appareil épique ; mais non, l’auteur de la Tentation de saint Antoine n’a pas même cette excuse. Son livre est le désordre même ; n’y cherchez pas la moindre trace du culte du beau, la moindre étincelle de la passion du vrai, quels que soient ce beau et ce vrai. C’est un pandémonium. Nul amour, nulle préférence ne guident l’esprit de l’auteur, si ce n’est l’amour des images à dessiner, des couleurs à étaler, des noms bizarres à faire résonner, et la prédilection pour les scènes lubriques. A-t-il à glorifier la sagesse de Jupiter, l’activité de Minerve, quelques mots lui suffisent ; mais s’il faut peindre les sanglantes mutilations d’Atys, l’effronterie d’Isis, les douleurs impudiques des pleureuses sur le corps d’Adonis, s’il faut faire gravement des calembours obscènes et religieusement décrire le culte des prostitutions dans les temples de Babylone, oh ! les détails abondent et les paroles se pressent sur ses lèvres : cynisme à haute dose, cynisme solennel et sacré, quintessence de cynisme !

J’ai dit : nul amour, nulle préférence sérieuse ; il faut ajouter : nul soupçon de la philosophie de l’histoire. Au simple point de vue de la science humaine, l’histoire des religions se développe avec l’histoire de l’humanité. Les croyances religieuses s’épurent suivant le travail intérieur du genre humain. Ne voit-on pas, au sein même de la révélation, les consciences s’éclairer, tout en s’exerçant sur un fond qui ne change pas ? Saint Augustin exprimait hardiment cette idée quand il demandait que Dieu grandît et se perfectionnât sans cesse au fond du cœur de l’homme ; crescat, perfectus semper, crescat Deus in te. C’est dans le même sentiment que de nobles esprits, essayant de tracer la philosophie de l’histoire, ont montré les idées