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contre les communautés chrétiennes. Écoutez ce qu’il ose dire de ces réunions saintes où de si nobles personnes, frères et sœurs en Jésus, s’encourageaient dans la foi et l’espérance : « Leurs yeux noyés de larmes se fixent les uns sur les autres. Ils balbutient d’ivresse et de désolation ; peu à peu leurs mains se touchent, leurs lèvres ; s’unissent, les voiles s’entr’ouvrent, et ils se mêlent sur les tombes entre les coupes et les flambeaux. » Ainsi, malgré les prétentions à la science et sous les ciselures de la forme, on voit percer ainsi de page en page un scepticisme vulgaire. N’allez donc pas vous fier aux apparences, s’il lui arrive de bafouer les personnages qui ont osé contrefaire la mission de l’Homme-Dieu. Les trois apparitions qui terminent cette fantasmagorie des sages, — le gymnosophiste hindou, Simon le Magicien, Apollonius de Tyane et son disciple Damis, — composent assurément un épisode fort drolatique. Le mystique des bords du Gange, tout nu, enduit de bouse de vache, qui sort du tronc d’arbre où il vivait incrusté pour brûler la sale auberge de son corps et se plonger dans l’anéantissement, est une figure solennellement grotesque. Le magicien Simon possède à fond le langage des histrions de la foire : « Je peux faire se mouvoir des serpens de bronze, rire des statues de marbre, parler des chiens. Je peux apparaître en jeune homme, en vieillard, en tigre et en fourmi, prendre ton visage, te donner le mien, conduire la foudre… » Quant à la scène d’Apollonius de Tyane et de son disciple Damis essayant d’endoctriner Antoine, c’est une vraie bouffonnerie. Tout à L’heure, quand M. Flaubert jetait sur la scène, la cohue des hérésiarques, il y avait dans son procédé une certaine furie qui ne prêtait point à rire ; ici, qu’il l’ait voulu ou non, la sottise du sujet fait éclater son masque. Il écrit une espèce de vaudeville, quelque chose comme cette pièce de théâtre, chef-d’œuvre du bas comique, disait-il lui-même, et qu’il proposait l’autre jour (fort inutilement, il est vrai) à l’admiration de ses contemporains. Antoine devient une espèce de Géronte que se disputent deux Sganarelles frottés de haute érudition. Le premier Sganarelle est profond, le second est stupide. Ils ont chacun une histoire saugrenue à raconter, et c’est à qui dira la sienne le premier. Ils se croisent, s’interrompent, se coupent la parole, si bien que le malheureux Antoine, au milieu de ce vacarme, hébété, ahuri, ne sait que pleurer et geindre. Cette scène burlesque se termine par un miracle. Apollonius propose à son disciple Damis de le conduire au-delà de toutes les formes, plus loin que la terre, plus haut que le ciel, au sein des idées pures, afin de franchir encore le dernier espace et de saisir dans son infinité l’éternel, l’absolu, l’être. Il lui prend la main, et tous les deux, côte à côte, s’élèvent doucement dans