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latin, sont parvenues jusqu’à nous. On peut en lire le résumé dans la Bibliothèque d’Ellies du Pin et surtout dans le grand ouvrage que le bénédictin dom Rémi Ceillier a publié sous ce titre : Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques. Le principal caractère de ces lettres est l’onction, la piété, avec un grand bon sens et une rare finesse d’intelligence. Le moine égyptien, sans culture et sans lettres, embarrassa plus d’une fois les philosophes grecs qui venaient lui adresser des questions subtiles. Athanase, dans sa vie d’Antoine, en a conservé plusieurs traits. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que les beaux esprits, déconcertés par ses réponses, s’en allaient toujours enchantés de sa bonne grâce, « car il n’était point rustique pour avoir vieilli dans la montagne ; il était agréable et civil, et ses discours étaient assaisonnés d’un sel divin qui le rendait aimable à tous ceux qui l’allaient voir. » Ainsi parle saint Athanase[1]. Et voilà l’homme que M. Gustave Flaubert nous représente faisant des rêves atroces, éventrant les ariens, assommant les femmes, les enfans, les vieillards, trépignant avec joie dans des ruisseaux de sang qui lui montent jusqu’aux jarrets, humant comme un nectar les éclaboussures qui lui sautent aux lèvres !

Qu’on nous permette encore une citation du grand évêque à qui est due l’histoire du grand ascète. Ce n’est pas faire acte de pédantisme ; l’auteur de Salammbô affiche la prétention d’épuiser toutes les ressources de l’archéologie avant de donner carrière à son imagination. Nous le suivons sur le terrain qu’il a choisi. Quoi de plus naturel, et en même temps quoi de plus comique, je vous prie, que cette confrontation des documens les plus vénérables avec les fantaisies de M. Flaubert ? « Antoine, dit Athanase, se rendit dans Alexandrie à la prière des évêques et de tous les fidèles. Il y condamna les ariens dans un discours public, disant que leur doctrine était la dernière des hérésies et le signe avant-coureur de l’antechrist… Tout le peuple se réjouissait d’entendre un si grand homme frapper d’anathème une hérésie hostile au Christ. Tous les habitans de la ville accouraient pour le voir. Les païens eux-mêmes et leurs prêtres, ceux du moins à qui ils donnent ce nom, allaient à l’église et disaient : Nous demandons qu’il nous soit permis de voir l’homme de Dieu. C’est de ce titre que tous le saluaient. Beaucoup de païens exprimaient le désir de pouvoir au moins toucher le vieillard, persuadés que cela seul leur porterait bonheur. Dans ce peu de jours, il se fit plus de chrétiens qu’il ne s’en serait fait en une année. Quelques-uns croyant que la foule pourrait l’importuner, il leur

  1. J’emprunte ici la traduction de dom Rémi Ceillier, Histoire générale des auteurs ecclésiastiques, t. IV, p. 508.