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conclure que tous les Asiatiques aiment à faire souffrir ? Si une terre a été arrosée du sang des martyrs chrétiens, c’est bien celle dont nous parlons ; qu’on lise les récits des missionnaires qui ont survécu à de si nombreuses persécutions, et on verra que les Annamites sont dépeints sous les traits les plus doux. A la suite de l’expédition de M. F. Garnier, on se rappelle que cent villages ont été brûlés et que cinq cents Tonkinois ont été assassinés ; on les accusait d’avoir accueilli favorablement les Français et d’aimer les chrétiens. Qui a ordonné ces incendies et ces massacres ? Ce sont les mandarins, les gouverneurs, des fonctionnaires du plus haut rang ; voilà les vrais coupables. Ce qu’il faut reprocher en réalité aux Asiatiques, c’est une douceur passive qui leur fait tout accepter, altère les instincts nobles, dégrade leurs facultés, les habitue enfin à la soumission servile, et développe en eux une indifférence complète pour tout ce qui est liberté, instruction, initiative individuelle et progrès. Voilà dans quel abaissement le despotisme d’un seul souverain comme Tu-Duc peut jeter une nation de plusieurs millions d’hommes.

Les arts, l’industrie, sont peu développés chez un peuple à ce point effacé. S’il excelle dans les constructions navales, grâce aux magnifiques bois qu’il trouve partout, les voiles, les cordages, sont faits avec des feuilles d’arbres et des fibres de bambous qui, après quelques heures de pluie, se décomposent ou se rompent. Le papier est fabriqué également avec des écorces d’arbrisseaux ; la pâte, rouie, couverte de chaux, séchée, jetée dans des moules formés de fils d’acier très fin, finit par donner un produit sans solidité ni durée, très inférieur à celui de la Chine. L’encre, composée de suie et de graisse, manque de cohésion. Le cuir est mal tanné. Les étoffes, dont la confection est principalement réservée aux femmes, ne manquent pas d’une certaine finesse. Le coton n’est filé que la nuit, l’expérience ayant démontré que, pour ce travail, l’humidité est préférable à la sécheresse. Malheureusement on ne sait pas donner la couleur aux tissus. La fabrication des soies est supérieure à celle de la Chine, et les taffetas, les satins, sont remarquables par leur durée ; mais pas un fabricant ne sait comment s’obtient la moire, ni comment on donne une nuance aux dessins. La fabrication du verre y est inconnue : ignorance singulière, partagée par tous les Célestes. Point d’horloges, pas de sabliers, on mesure le temps au moyen de petites boules creuses en cuivre percées d’un petit trou. On les jette dans un vase plein d’eau, et lorsqu’elles sont remplies par l’infiltration, la descente de la boule au fond du bassin indique qu’une heure annamite, égale en durée à deux de nos quarts d’heure, vient de s’écouler.

Chaque village, comme chaque rue d’une ville chinoise, a sa spécialité de fabrication. Il y en a qui ne sont composés que de