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fort tonnage pourront toujours s’abriter, sera donc probablement et dans un temps prochain la ville la plus florissante de toute la côte au point de vue commercial.

Le 2 novembre, M. Senez, laissant son bateau à l’ancre, prenant avec lui deux baleinières, une jonque chinoise servant de magasin et vingt hommes armés de fusils Chassepot, remonta les bouches du Cuacum jusqu’à Haï-dzung, le chef-lieu de la province de ce nom. Haï-dzung est une grande ville avec de nombreuses maisons en briques et défendue par une jcitadelle qui pourrait offrir une sérieuse résistance, si elle était occupée par une armée en rapport avec son étendue. L’accueil fait par le gouverneur à nos compatriotes leur parut plein de cordialité. Ils en profitèrent pour se mettre en route dès le 4, résolus de pousser jusqu’à Hannoï, la vieille capitale. A peine partis, une barque montée par des indigènes catholiques vint à leur rencontre et les pria de descendre un instant dans un village, à la porte duquel un provincial de l’ordre des dominicains espagnols, le père Masso, les attendait pour leur faire fête. Le clergé indigène en costume, suivi d’une multitude d’enfans aux vêtemens bariolés, portant des bannières, des oriflammes, avec des gongs et des tambours, vint les recevoir au débarcadère de la mission. Nos voyageurs trouvèrent là M. Colomer, évêque espagnol, et de plus un succulent déjeuner avec des vins d’Espagne. On y laissa l’évêque français, M. Gauthier, qui depuis son départ de Hongneu n’avait point voulu quitter le commandant du Bourayne, et auquel revenait sans doute la plus grande partie de toutes ces démonstrations. Ghaque soir, il fallait s’arrêter afin de laisser reposer les hommes, que le travail à la rame fatiguait un peu ; on choisissait pour s’abriter une bonne pagode, dans laquelle chacun s’installait le plus confortablement possible. Lorsqu’il n’y avait pas en vue quelque temple hospitalier, les berges servaient de lieu de campement ; les habitans des villages voisins se hâtaient d’apporter à nos marins de la paille, de l’eau, tout ce dont ils avaient besoin ; comme ces petites fournitures étaient payées avec une grande ponctualité, l’accord régna toujours entre l’équipage et les paisibles riverains. Le 6 novembre, à trois heures ; L’expédition quittait le canal qu’elle avait pris au sortir de Cuacum pour entrer dans le Song-koï ; deux heures après, elle était devant Hannoï.

Le Fleuve-Rouge, d’après l’intéressant rapport du commandant du Bourayne, est large de 400 à 500 mètres à l’endroit où aboutit le canal, et d’une profondeur de 6 à 10. Il laisse dans son parcours de nombreux bancs de sable ferrugineux à découvert ; les eaux en sont épaisses, d’une couleur hautement carminée, et c’est probablement à cette particularité que la rivière doit le nom que lui donnent les Tonkinois. Devant Hannoï, le Song-koï est large de 1,000 à