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du capitaine Sprye. Ce dernier cite à l’appui de son tracé le voyage accompli récemment par une caravane composée de marchands chinois et birmans, qui, profitant de la tranquillité qui règnes dans les montagnes depuis l’égorgement des Miaotses, a suivi l’antique route de la Chine aux Indes, et est arrivée sans encombre. A Bhamo, avec de l’orpiment et quatre cents balles de soie de la province de Szechuen. Ces marchands annoncent que d’autres caravanes les suivent. Quelle que soit l’importance de ces faits, les Anglais eux-mêmes sont contraints d’avouer que, si le Song-koï est ouvert au commerce européen, aucune voie ne pourra entrer en compétition avec celle-là. Le triomphe de cette route serait en effet complet, si dès aujourd’hui quelques maisons françaises honorables, riches et entreprenantes allaient s’établir à Hannoï ou aux embouchures du Song-koï. Nous en connaissons beaucoup réunissant ces conditions, mais quelle est celle qui donnera le patriotique exemple ? Les Anglais assurent que nous ne saurons jamais tirer parti d’une pareille situation ; ne trouverons-nous pas moyen de leur donner un démenti ? Ce qui préoccupe aussi beaucoup nos voisins, c’est la crainte de voir, si nous nous emparons du Tonkin, un trop grand rapprochement s’opérer entre la France et la Birmanie indépendante. Ils ont beaucoup remarqué déjà qu’en octobre dernier le comte Marescalchi, capitaine de zouaves, neveu du maréchal Mac-Mahon et son aide-de-camp à Ghâlons avait apporté au petit roi de Birmanie la ratification d’un traité de commerce entre son royaume et la France. Il est certain que le choix de cet envoyé a du fournir un sujet d’inquiétude et de réflexion aux Anglais, qui peuvent devenir un jour nos voisins en Cochinchine. Aussitôt après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, un éleveur d’Australie ne m’a-t-il pas avoué à Ceylan que ses compatriotes venaient de se constituer en miliciens à Sydney dans la crainte d’une invasion française !

Revenons à M. Dupuis. Aussitôt sa mission terminée auprès du maréchal Mah, ce dernier lui donna en toute propriété une escorte de cent cinquante de ses braves où soldats chinois pour assurer, son retour dans le Tonkin. Le voyageur retrouva sur sa route les deux armées rebelles qui lui avaient fait un si bon accueil à son premier passage, et qui continuèrent à lui prêter un utile appui. Les mandarins annamites de l’armée impériale se bornèrent à le traiter avec une parfaite indifférence. Le second de M. Dupuis, M. Millot, arriva seul à Hongkong après huit mois d’absence : il n’avait avec lui qu’un seul bateau, le Louakai ; malgré le dépit qu’elle ressentait de son heureux voyage, la colonie anglaise lui fit un brillant accueil. M. Dupuis, avec le Hooug-kiang, son canot à vapeur et son escorte, restait à Hannoï afin d’y ouvrir un comptoir et de poser les premières bases du traité de navigation dont nous avons déjà parlé. En février