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par un chef de bataillon. M. Philastre, administrateur en Cochinchine, désigné pour remplacer M. Garnier, les accompagnait, et dès son arrivée cet agent suivit une politique peut-être trop ouvertement opposée à celle de son infortuné prédécesseur. M. Philastre a été rappelé et remplacé par un capitaine d’infanterie de marine, M. Rheinard, dont tout le monde en Cochinchine a pu apprécier l’énergie et l’intelligence. C’est, comme disent les Anglais, the right man in the right place. Aujourd’hui nous n’avons plus à Kécho que notre agent, installé avec 40 hommes dans un blockhaus construit en dehors de la citadelle, et 200 hommes établis à Haï-phang, à l’embouchure du Song-koï.

La fin tragique de M. Francis Garnier a donné le coup de grâce à cette conquête improvisée du Tonkin, mais que l’on eût certainement acceptée sans ce dénoûment fatal et imprévu. Quoi qu’il en soit, ces complications, à tant de points de vue regrettables, ne nous ont point aliéné le souverain de l’Annam. Le « grand-maréchal, » mort depuis, tué par un éclat d’obus français, n’aurait pas tenu compte dès le principe, paraît-il, des ordres pacifiques qu’il aurait reçus de Hué. Tu-Duc, n’exerçant qu’un pouvoir à peu près nominal sur ses lieutenans du Tonkin, ayant ses côtes infestées de pirates chinois, nous aurait même priés de rester dans le pays en attendant le paiement d’une indemnité d’un million et la conclusion du traité de commerce qui vient enfin d’être signé.

Il est des pertes qu’aucun argent ne rachète, c’est celle d’un officier de marine et d’un voyageur aussi instruit que l’était Francis Garnier ; il est aussi des vengeances qu’aucune pendaison au plus haut des vergues de nos bâtimens ne peut compenser : ce sont celles exercées par nos ennemis sur 80 villages et 500 Annamites, les uns incendiés pour avoir laissé arborer chez eux le drapeau tricolore, les autres égorgés en raison de leur sympathie pour la France. Le gouvernement annamite assure qu’il lui a été impossible d’empêcher ces déplorables exécutions ; force nous est bien de le croire jusqu’au jour où l’occasion se présentera de tirer parti de cette impuissance.

Après avoir refait en compagnie de M. Dupuis le trajet de Hong-kong à la province chinoise du Yunnan par le Fleuve-Rouge et ses affluens, nous donnerons quelques détails sur le Tonkin et sur les ressources qu’il offre. Ce riche fleuron de la couronne d’Annam doit s’en détacher un jour comme un fruit trop mûr et tomber entre les mains de la France. Si nous avions l’imprudence de vouloir précipiter aujourd’hui ce résultat, il faudrait jeter dans ces contrées un argent devenu difficile à trouver pour des nécessités douloureuses et urgentes ; nous y verrions périr, soit par les insolations, les fièvres, la dyssenterie, soit par les embûches, ce que nous avons de plus