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qui lui restaient, les considérations politiques. M. de Moltke demeurait parfaitement insensible et se bornait à remettre sous les yeux du général français l’extrémité de sa situation en même temps que la force des positions prussiennes. Un instant, le général Castelnau, envoyé par Napoléon III, intervenait, déclarant que l’empereur, en remettant son épée sans conditions au roi, avait espéré que cette démarche vaudrait à l’armée une capitulation plus honorable. « Quelle est l’épée qu’a rendue l’empereur Napoléon III ? dit M. de Bismarck. Est-ce l’épée de la France ou son épée à lui ? Si c’est celle de la France, les conditions peuvent être singulièrement modifiées… — C’est seulement l’épée de l’empereur, » reprit le général Castelnau. Dès lors les conditions restaient les mêmes, et, comme Wimpfen parlait — de recommencer la bataille le lendemain, puis paraissait accepter la proposition qui lui avait été faite au commencement de la conférence d’envoyer un officier pour vérifier les positions de l’armée allemande, M. de Moltke finissait par ajouter sèchement : « Vous n’enverrez personne, c’est inutile, et d’ailleurs vous n’avez pas longtemps à réfléchir, car il est minuit ; c’est à quatre heures du matin qu’expire la trêve, et je ne vous accorderai pas un instant de sursis… » Pourtant, sur l’observation que Wimpfen ne pouvait prendre une telle décision sans avoir consulté les autres généraux, et aussi sur quelques mots de M. de Bismarck, M. de Moltke accordait jusqu’à neuf heures. À six heures du matin, dans un conseil de guerre, les généraux, la mort dans l’âme, se résignaient à subir une capitulation à laquelle ils ne voyaient aucun moyen humain de se soustraire. Deux seulement, le général Pellé et le général de Bellemare, protestèrent, sans indiquer comment on pouvait échapper à la terrible extrémité. Tout était fini pour cette armée qui depuis dix jours portait le nom d’armée de Châlons.

Au moment où l’on délibérait encore pour la forme, à six heures du matin, le 2 septembre, l’empereur de son côté sortait de Sedan, se dirigeant sur Donchery, où il croyait trouver le roi. Il ne rencontrait que M. de Bismarck, avec qui il s’entretenait pendant une heure dans une petite maison d’ouvrier qui est sur la route de Donchery. L’empereur pensait voir le roi avant la signature de la capitulation, et le roi ne voulait pas voir l’empereur avant que la capitulation ne fût signée. Cela fait, une entrevue était arrangée dans un petit château qui domine la vallée de la Meuse, et où le vaincu allait attendre son vainqueur. À une heure, Guillaume arrivait. Napoléon III répéta ce qu’il venait de dire peu d’instans auparavant à M. de Bismarck, « qu’il n’avait pas voulu la guerre, que l’opinion publique de la France l’y avait forcé. » Il se lavait les mains des désastres de la France en disant : Ce n’est pas moi ! S’il n’avait pas voulu la guerre,