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commandement passait ce jour-là même du général de Failly au général de Wimpfen, arrivant tout droit d’Afrique, il restait tellement éprouvé et désorganisé par l’affaire de Beaumont qu’il ne pouvait plus servir que comme réserve ; il allait bivouaquer sous le vieux camp, au ravin du fond de Givonne, qui communique avec toutes les positions. La cavalerie Bonnemains, Margueritte, Fénelon, devait camper sur le plateau en arrière de Douay et de Ducrot. Tout cela s’exécutait le 31 ; mais déjà il n’y avait plus à s’y tromper. La retraite elle-même devenait difficile. Le 1er corps, venant de Garignan, qu’il avait atteint la veille lorsqu’on songeait encore à se diriger sur Montmédy, le 1er corps, bien que cheminant assez loin, par les coteaux du Chiers, par Francheval, Villers-Cernay, avait été obligé de s’arrêter plusieurs fois dans la journée, se croyant près d’être attaqué. Le 12e corps, plus rapproché de la Meuse, avait eu des engagemens.

C’est qu’en effet nous ne pouvions plus faire un pas sans être suivis. A chacun de nos mouvemens répondait un mouvement de l’ennemi. La garde prussienne marchait sur les traces de Ducrot par Francheval et le haut de la vallée de la Givonne comme pour nous fermer la route de la Belgique et doubler la pointe d’Illy. Le XIIe corps saxon se dirigeait sur Daigny et La Moncelle, suivi par le IVe corps. Les Bavarois de Von der Tann se trouvaient dès le soir du 31 devant Lebrun. Ils s’emparaient du pont du chemin de fer, passaient audacieusement la Meuse et tentaient d’enlever Bazeilles, qu’ils couvraient de feu, dont ils commençaient l’incendie. L’infanterie de marine du général de Vassoigne les repoussait avec le plus vigoureux entrain et les rejetait au-delà de la Meuse ; mais les Bavarois restaient maîtres du pont, et les troupes de Lebrun campaient à la lueur des incendies mal éteints de Bazeilles. A l’autre extrémité de la ligne ennemie, le XIe et le Ve corps arrivaient déjà sur Donchery, ayant à leur gauche les Wurtembergeois. Les têtes de colonne du XIe corps allaient là aussi s’emparer du pont de Donchery, passer la Meuse et doubler la presqu’île d’Iges et nous fermer la route de Mézières par Vrigne-aux-Bois. Les Allemands, dans la dévorante activité de leurs mouvemens, n’avaient qu’une crainte, celle de voir l’armée française leur échapper. Toute la question était là pour eux, et pour nous aussi elle était là : il s’agissait de se hâter sur Mézières ou de livrer bataille sous Sedan, où l’on arrivait à peine. Je ne parle pas d’une évasion en Belgique, que personne n’eût osé proposer avant le combat à des hommes résolus à faire leur devoir jusqu’au bout.

Le maréchal de Mac-Mahon soupçonnait-il la gravité de sa situation ? Qu’en pensait-il ? L’idée de la retraite sur Mézières flottait dans son esprit, ce n’est pas douteux. C’était surtout la préoccupation du général Ducrot, qui, sans avoir une initiative de commandement, ne