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ouvrages qui partout feraient honneur au clergé. La lente diffusion du christianisme dans ces immenses plaines du nord, parmi des peuplades de tant de races diverses, prête à ces annales un charme égal à celui des récits de la prédication chrétienne dans les forêts de la Gaule ou de la Germanie. Pour le politique, elles ont un double intérêt : l’émancipation progressive de l’église russe vis-à-vis de l’église-mère de Constantinople et l’intimité croissante du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel dans l’empire. Cette marche constante et parallèle vers un double objet donne à l’histoire ecclésiastique de la Russie une unité, une logique difficiles à retrouver dans l’histoire de toute autre église nationale.

Au point de vue de ses relations étrangères comme au point de vue de son gouvernement intérieur, l’existence de l’église russe se partage en quatre phases : l’âge de la complète dépendance du siège de Constantinople, — la période transitoire où l’église moscovite acquiert peu à peu son autonomie, enfin l’indépendance ecclésiastique définitivement proclamée, — la période du patriarcat de Moscou, et celle du saint-synode de Pétersbourg, qui dure encore. Pendant la première époque, les métropolites de la Russie, siégeant à Kief comme les grands-princes, sont d’ordinaire directement nommés par le patriarche de Constantinople, souvent même ce sont des Grecs étrangers à la langue et aux mœurs du pays. En dépit de quelques tentatives d’un ou deux kniazes pour rompre cette sujétion, l’église russe n’est alors qu’une province du patriarcat byzantin. L’invasion des Tatars et le transport du centre politique des bords du Dnieper au bassin du Volga relâchent, en les isolant, les liens des deux églises. Le métropolite de la Russie, qui suit les grands-princes à Vladimir, puis à Moscou, est encore suffragant du patriarche grec, mais il est de sang russe ; il est élu par son clergé ou choisi par le souverain. A l’exemple de sa mère byzantine, l’église de Russie se montre, dès l’origine, pleine de respect ou de déférence pour le pouvoir temporel. Les guerres civiles des princes apanages, puis la domination tatare, lui garantirent longtemps plus d’influence ou d’indépendance que ne lui en eût laissé un pouvoir plus fort. Comme les kniazes de Vladimir ou de Moscou, les métropolites étaient confirmés par les khans mongols ; la politique des oppresseurs se joignait à la piété des princes nationaux pour assurer les prérogatives de la hiérarchie ecclésiastique. Russes et Tatars contribuaient à l’influence d’un clergé dont les chefs servaient d’arbitres entre les différens kniazes, ou d’avocats vis-à-vis de l’envahisseur. C’est peut-être l’âge le plus glorieux, l’âge héroïque de l’église russe ; c’est l’époque de ses plus grands saints nationaux : les Alexandre Nefski, les Alexis, les Serge, l’époque de la plupart de ses grandes