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moyen de se tirer d’affaire, c’était d’atténuer les périls de l’entreprise par la vigueur foudroyante de l’exécution, par la précision et la rapidité des mouvemens, de se mettre en mesure d’arriver sur la Meuse au plus vite, de façon à devancer l’ennemi, sans lui laisser le temps d’amener ses masses à notre rencontre ou à notre suite. Ce n’était point impossible. La marche par l’ouest de l’Argonne, en s’accomplissant plus loin des Allemands, avait la chance de leur échapper tout d’abord et peut-être de les embarrasser. Il n’y avait guère, que 80 kilomètres à parcourir pour atteindre Stenay, trois ou quatre jours devaient suffire amplement. Vers le 26 ou le 27 au plus tard, le 5e et le 12e corps, débouchant par le Chêne, par le défilé de Quatre-Champs, le 1er et le 7e corps s’avançant par Vouziers, la Croix-au-Bois, Grand-Pré, pouvaient se trouver assez concentrés sur la ligne de Buzancy, Nouart, à portée de la Meuse. Le succès définitif restait certes bien problématique encore. La jonction n’était pas faite, elle dépendait de Bazaine, qui aurait à livrer une nouvelle bataille et à la gagner. L’armée de Châlons pouvait courir avant peu d’étranges risques ; mais enfin, si elle arrivait le 27 sur la Meuse, elle avait la chance de n’avoir affaire qu’au prince de Saxe. Tout tenait à la célérité. Malheureusement les difficultés commençaient presque au départ de Reims, et l’armée en était à peine à sa seconde marche que déjà le 5e et le 12e corps, brusquement détournés de leur direction, se voyaient ramenés à l’ouest sur Rethel pour ne repartir que le 26 après une journée perdue. Pourquoi ce détour sur Rethel ? C’était en partie la suite d’une nécessité de ravitaillement, peut-être aussi en partie l’effet d’un excès de prudence et dans tous les cas la conséquence de l’organisation hâtive, incomplète de l’armée. Dès le premier jour, deux des chefs de corps avaient prévenu le maréchal que leurs troupes allaient manquer de vivres le lendemain. Inquiet pour ses approvisionnemens, bien plus préoccupé encore de sa ligne de communication avec Paris, qu’il laissait découverte en s’avançant et qui pouvait être coupée d’un instant à l’autre, soucieux des témérités périlleuses auxquelles on le poussait, Mac-Mahon se sentait disposé à redoubler de précautions bien plus qu’à payer d’audace, et il ne croyait pouvoir mieux faire que de s’appuyer à Rethel, au chemin de fer de Reims à Mézières : première et irréparable perte de temps, premier signe d’indécision dans une marche où chaque heure est précieuse, où le doute peut tout compromettre.

Qu’arrive-t-il en effet ? Le mouvement prend aussitôt une sorte d’allure flottante et décousue. Tandis qu’une partie de l’armée passe la journée du 25 autour de Rethel ; le reste ralentit nécessairement sa marche ; le 1er corps fait au plus 15 kilomètres pour gagner Attigny, le 7e corps atteint Vouziers après une étape plus courte