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civile, et la forme de leur administration en rapport avec l’administration de l’état. Sur ce point encore, on a souvent en Occident pris l’effet pour la cause. L’asservissement des églises de rite grec a été la conséquence plutôt que le principe de la servitude des peuples de l’est de l’Europe. En Russie, comme à Byzance, ce n’est point la dépendance de l’église qui a créé l’autocratie, c’est l’autocratie qui a fait la dépendance de l’église. En usant de ces expressions de dépendance ou de servitude, nous parlons en étrangers : elles ne sont point admises par les Russes, et sur nos lèvres elles blessent leurs oreilles. Prêtres et laïques repoussent tout reproche de ce genre comme une calomnie ou un malentendu. A les en croire, les Russes n’ont fait que conserver, en les régularisant, les relations primitives de l’église et de l’état dans l’empire des Constantin et des Théodose. Ces revendications ne se peuvent entièrement contester : il entre dans les jugemens de l’Occident sur l’église russe plusieurs préjugés et beaucoup de confusion. Pour se rendre sérieusement compte de la situation de l’église vis-à-vis du gouvernement, il faut un examen attentif de leurs rapports réciproques, il faut savoir distinguer ce qui appartient à l’un de ce qui revient à l’autre, savoir séparer ce qui dans leurs relations actuelles est accidentel, transitoire, et ce qui est permanent, inhérent à la nature même de l’église ou de l’état. Pour mieux comprendre ce qui dans la constitution de l’église russe est le fait de l’orthodoxie orientale et ce qui est le fait du système politique, il faut rapprocher la situation légale du culte dominant de celle des autres confessions chrétiennes, des autres ; religions dans l’empire ; il faut connaître quelles tendances imposent au gouvernement russe, en matière religieuse et en administration ecclésiastique, ses traditions nationales et son principe autocratique.


I

C’est à une époque relativement récente que l’église russe a été mise à la place qu’elle occupe aujourd’hui dans l’état. Avant d’y parvenir, elle a passe par déférentes phases dont l’une, le patriarcat, excite encore chez quelques esprits des regrets, si ce n’est des espérances. Cette église, que nous nous représentons comme endormie depuis des siècles, a eu une existence active, vivante, souvent tragique. A notre étonnement, elle a une histoire aussi remplie et aussi animée qu’aucune. Les Russes, ecclésiastiques et laïques, l’ont plusieurs fois écrite : M. Mouravief, le frère du terrible général, l’avait ébauchée, Mgr Philarète, évêque de Tchernigof, et Mgr Macaire, archevêque de Kharkof, l’ont récemment traitée en de vastes