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et celui de la force. Les chimistes seuls sont compétens pour savoir jusqu’à quel point il est utile ou nécessaire de supposer en chimie des forces particulières. C’est un débat intérieur entre chimistes où nous n’avons pas à intervenir. Le savant professeur a-t-il réussi à réduire l’affinité chimique au mouvement, comme on l’a fait pour la chaleur, la lumière, l’électricité ? Encore une fois ce sont les chimistes seuls qui peuvent en décider ; mais, pour avoir supprimé la force en chimie, l’a-t-il écartée dans la mécanique ? Il revient à Descartes et se trouve en face du problème posé par Leibniz, et il est engagé à résoudre les objections que celui-ci avait dirigées contre le mécanisme cartésien. Comment appellera-t-on ce qui dans un corps résiste au mouvement, ou ce qui retarde le mouvement ? Ce n’est pas là une propriété de l’étendue ; la géométrie ne connaît rien de pareil. Suivant Leibniz, s’il n’y a rien dans les corps que l’étendue, un corps en mouvement qui en rencontre un autre doit l’entraîner avec lui, et ils doivent continuer à marcher de concert avec la même vitesse qu’avait le premier. C’est ce qui est contraire à l’expérience. Or cette puissance retardatrice du mouvement est si peu réductible à l’étendue, qu’elle n’est pas même proportionnelle au volume, puisqu’il peut se faire que ce soit le plus petit corps qui entraîne le plus grand ou qui lui résiste. Il y a donc un élément propre dans les corps qui n’est pas exclusivement géométrique, et c’est ce qu’on appelle la force. De plus, si l’on retranche l’idée de force de la mécanique, comment en distinguera-t-on les deux parties, l’une appelée cinématique, dans laquelle on étudie le mouvement purement et simplement sans aucune mention de la force, la seconde appelée dynamique, où l’on étudie le mouvement dans son rapport avec la force ? Comment effacer cette distinction et réduire la seconde science à la première ? Pour prendre le théorème le plus élémentaire de la dynamique, comment exprimer, comment même comprendre, sans la notion de force, le théorème du parallélogramme des forces ? Comment comprendre le principe de l’action et de la réaction, là où par hypothèse il n’y a ni action ni réaction ? Enfin n’est-ce pas une sorte de cercle vicieux que de nous dire qu’on remplacera la force par la quantité de mouvement ? car, si nous demandons à la mécanique ce qu’il faut entendre par quantité de mouvement, elle nous apprend que c’est le produit de la masse par la vitesse : or la masse elle-même ne se définit que par le poids, et le poids à son tour est inintelligible sans la force.[1].

  1. Voici, par exemple, l’idée que nous devons nous faire de la masse, suivant Poisson : « lorsqu’on essaie de mouvoir différens corps sur un plan horizontal, la grandeur des efforts que l’on est obligé de faire pour leur imprimer le même mouvement peut donner une idée de leurs masses respectives, et, quand on trouve que deux corps de même volume exigent des efforts différens, on doit les regarder comme contenant sous ce volume des quantités différentes de matières inertes. » ( Traité de mécanique, t. II, l. III, § 1)