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supporte la mer l’espace d’un voyage : avec moins de frais qu’un vaisseau neuf, il procurera la même prime. Quel spectacle, quand on verra ces vétérans de la mer, confondus depuis longtemps avec le quai où ils dormaient, se détacher lentement des arrière-bassins, livrer au vent leur mâture branlante, et s’essayer encore à tracer leur ancien sillage! mais si par hasard, ce qu’à Dieu ne plaise, le capitaine et les matelots étaient informés de ces belles combinaisons, l’armateur pourrait avoir une déconvenue. En effet, on a répété que l’objet de la prime était de conserver des marins à la France. Le marin, sur ce fondement, réclamera le bénéfice de la prime ou un salaire plus fort. S’il trouve de la résistance, il refusera ses services. C’est un, enjeu qu’on se disputera, et que les grèves pourront arracher des mains de l’armateur.

La marine sera-t-elle destituée de tout secours? Quelques réformateurs trop confians pensent que la liberté suffit à tout, et que l’office du législateur se borne à lever les surtaxes et à retirer les subsides. La protection elle-même est préférable à cette incurie par laquelle un gouvernement abandonne une industrie longtemps favorisée ; il faut au contraire y veiller d’autant plus qu’on ne la protège pas directement. D’abord c’est une simple règle d’équité d’ôter les charges quand on retire les fruits. Ainsi le droit de quai est un impôt très lourd pour nos armateurs, bien qu’il pèse également sur les navires étrangers : on devrait l’abolir tout à fait. Que si l’on renonce à faire entrer l’état dans la dépense des constructions, on peut au moins assurer une franchise complète aux matériaux qui sont introduits dans les chantiers; l’acquit-à-caution, dont le constructeur a le bénéfice, sera réglé largement. Nul ne saurait prévoir toutes les mesures utiles; mais on les apprend à l’usage, par l’expérience de tous les jours. Il est donc plus facile de concevoir l’œuvre d’un grand ministre que d’en marquer d’avance tous les points. On sait qu’il porterait le même esprit dans les diverses parties de l’administration, trouvant partout l’occasion de servir la marine et n’étant jamais si près d’elle que lorsqu’il paraît s’en éloigner davantage. Il n’irait pas crier qu’il travaille à la grandeur de son pays; mais, peu disposé à satisfaire seulement les intérêts ou les appétits, il étendrait ses vues jusqu’aux réformes lointaines, et saurait les préparer insensiblement par des procédés équitables dans le détail. Après avoir fourni au recrutement de la flotte, il ne croirait pas indifférent d’affranchir le marin de la gêne des règlemens qui le poussent vers d’autres professions. Il conserverait la caisse des invalides comme une institution précieuse; mais il distinguerait le civil du militaire et remettrait peu à peu aux marins eux-mêmes la gestion de leur pécule. Il aurait des écoles et des