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marchandises à petite vitesse? » Cependant 2 centimes de moins valent toute la diplomatie pour grossir la part de nos vaisseaux.

Ainsi personne ne s’intéresse aux véritables réformes : elles demandent trop de patience, trop de modestie; puis elles n’ont guère de place dans le régime parlementaire, où les discussions viennent jour par jour, selon l’intérêt du moment. Qu’un orateur s’avise de parler des canaux, des chemins de fer, des échanges à propos de la marine, l’auditoire distrait ne suit pas le fil et le rappelle à la question. Dans l’indifférence générale, si la politique ne pénètre par aucun joint et ne tourne pas le vote contre les ministres, le dernier mot reste aux hommes spéciaux : ceux-ci n’ont pas un intérêt pressant dans les réformes lointaines dont ils ne verront pas les suites, mais ils appellent sur leur champ cette pluie bienfaisante des primes, des indemnités publiques; aussi font-ils une peinture touchante de leurs misères. Ils emportent du même coup le vote et la surtaxe. En vain quelques prophètes annoncent qu’on sera contraint de l’abolir dans six mois. L’événement leur donne raison, et six mois après les mêmes mains détruisent ce qu’on édifiait la veille. Seulement on ferme la bouche aux intérêts en décidant qu’une commission va s’ingénier à trouver le grand remède.

Une commission formée de beaucoup de membres, attentive aux avis divers, est très propre à élaborer un projet de loi, dont elle pèse à loisir les termes; mais elle n’a point qualité pour examiner des mesures d’exécution. C’est trop lui demander que de vouloir qu’elle ait du génie, à moins de lui donner la toute-puissance des comités révolutionnaires. Toute réforme est une campagne entreprise contre les intérêts. On craint si fort de les froisser que personne ne veut encourir la responsabilité de la première attaque. Le pouvoir exécutif renvoie l’affaire devant le parlement, et le parlement se décharge sur une commission, où l’on a soin de placer quelques négocians qui sont juges dans leur propre cause. On y voit aussi des membres compétens et désintéressés; mais que peuvent-ils faire? Rendre des lois? On en avait préparé d’excellentes dès 1867 dans le sein d’un véritable comité d’étude : elles mettaient en harmonie le code de commerce avec les nouveaux besoins de la marine; mais ce sont des lois, et l’on veut autre chose. Va-t-on tracer des canaux, fonder des entrepôts, organiser le crédit? La commission ne doit pas sortir de son petit domaine, ni remonter aux sources. Peut-elle au moins rétablir les surtaxes? Nullement; nous sommes liés par des engagemens avec les autres puissances : la franchise des pavillons a été mêlée fort adroitement à des concessions particulières, et l’on ne peut la reprendre qu’à l’expiration des traités.