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la portée des réformes de 1860, qui rendaient la liberté au commerce; ils ne virent point, tant ils étaient endormis sur la confiance de leurs tarifs, que cette liberté ne pourrait s’arranger des lenteurs et du prix qu’ils mettaient aux transports. Cependant ils durent subir la loi commune. En 1860, on ôta une partie des droits que le législateur avait mis sur la provenance des marchandises; en 1866, on en fit autant de tous les droits sur le pavillon, sur l’entrepôt d’Europe et sur le tonnage des navires.

Les partisans et les détracteurs de ces lois ont eu le tort de penser qu’elles devaient changer subitement le cours des choses. On s’efforça de faire parler les chiffres, et, selon les besoins de la cause, on data de 1860 le progrès ou la décadence de toute la marine; mais le mouvement ne répondait ni aux espérances des uns ni à la méfiance des autres. Il est certain que les dernières lois consommaient une révolution depuis longtemps commencée, et qu’elles ne pouvaient avoir un effet si prompt. Quand on abaisse un tarif, on ne peut espérer l’essor subit d’une industrie que si elle est assez vivace pour se plaindre de ses entraves. Au contraire le régime bâtard des surtaxes, dans un pays qui n’a pas de puissantes colonies, avait énervé les armemens et détourné le commerce des grandes voies. Il fallait, pour réparer cette faute, du temps, de l’argent, et l’habitude de considérer d’autres intérêts que celui des armateurs. Tandis que ces derniers jetaient les hauts cris, d’autres négocians des mêmes ports, envisageant surtout les besoins du commerce, se louaient d’une liberté qui mettait à leur service les navires de toutes les nations. Bien plus il y eut des armateurs qui donnèrent à leurs confrères ce cruel démenti de faire fortune contre toutes les règles en se moquant de la protection. Cela fit bien augurer des réformes, puisque des Français pouvaient entrer en lutte avec le pavillon tiers, n’ayant pour toute arme que l’habileté et l’énergie. Les autres s’indignaient de partager avec l’Anglais ou l’Allemand le bénéfice de nos transports; mais, en vertu de la même liberté, n’avaient-ils pas le droit d’aller disputer à ces peuples le fret de leur pays? Ainsi au premier abord les avantages compensaient les inconvéniens, et, s’il fallait avec les seuls états de douane montrer la trace des progrès accomplis, on verrait que le commerce, avant d’avoir transformé sa flotte, en fait déjà meilleur usage, car les mêmes navires transportent beaucoup plus de marchandises.

Il est assez naturel que la suppression d’une faveur soulève des murmures et paraisse un traitement indigne à ceux qui la perdent. Le meilleur moyen de leur fermer la bouche, c’est de laisser un libre cours à leurs plaintes, non-seulement en vue du soulagement qu’on éprouve au récit de ses propres misères, mais parce que les