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également en étage le long de la montagne[1] : les deux principaux sont San-daïtchi et Rieur-daïtchi. Ce sont les tombeaux des deux taïcouns successeurs de Hieyas; ils sont aussi de toute beauté et admirablement entretenus. Tous sont l’objet d’une grande vénération. C’est bien avant le sanctuaire que le visiteur japonais doit quitter ses chaussures et son manteau, et le visiteur européen est obligé lui-même d’ôter ses bottes pour pénétrer dans le sanctum sanctorum. Toute une ville sainte de temples, de chapelles, de bonzeries, s’élevait autrefois; tout a été dévoré par un incendie qui n’a laissé qu’un dédale de fondations de pierres désertes, au milieu duquel serpentent des escaliers inutiles. Par endroits, la neige laisse voir la mousse qui recouvre les murailles, et ces vastes enclos abandonnés sont pleins de broussailles, triste image du sort qui attend quelque jour le grand temple lui-même.

Un chasseur de l’endroit m’avait parlé de nombreux faisans dans le voisinage; il avait dit vrai, car dans une course matinale, le 2, par zéro degré, suivi de mon fidèle Star et de mon jardinier, porteur de l’inséparable gourde, j’en vis sept en deux heures dont deux eurent la sottise de se laisser tuer. Deux heures après, je repartais en kango[2] pour aller voir dans la montagne la belle cascade de Kirifuritaki. Après avoir cheminé quelque temps sous les sapins, le sentier gravit des pentes arides et nues qui ne laissent pas que d’être inquiétantes pour le maintien de l’équilibre, car il faut tantôt monter, tantôt redescendre de petites arêtes qui séparent les lits de divers torrens. Bien souvent le pied de mes porteurs glisse; mais ils se rattrapent sur leurs bâtons, et de rire! A la montée, on échange des plaisanteries sur la lourdeur du « bourgeois, » Voici un pont sur un torrent composé de deux troncs de sapin de 10 centimètres de diamètre, placés à côté l’un de l’autre sans que rien les réunisse, séparés même par un petit interstice. C’est ici le cas de se rappeler l’exercice de la poutre familier aux gymnastes de collège. Je juge à propos de descendre, car deux pieds ont moins de chance de glisser que quatre : me voilà de l’autre côté. Un peu plus loin, c’est, au lieu d’un pont, un chapelet de pierres sur le torrent : les roches sont rondes ou pointues à distances inégales, à moitié submergées. Cette fois il faut rester plié en deux dans mon panier de bambou, à la grâce de Dieu. Tout va bien; je ne regrette que l’absence d’un peintre.

  1. Dans les idées religieuses du temps, les temples devaient être construits sur un point élevé, comme plus voisin du ciel.
  2. Le kango se compose d’un panier de bambou que deux hommes portent sur leurs épaules. Le voyageur européen, peu habitué à plier les jambes, s’y arrange comme il peut. C’est un mode de transport peu agréable.