Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pontifes qui venaient des points les plus éloignés de l’empire prier sur les tombes vénérées. Nikko date de la fin du XVe siècle. Fondé par l’un des plus grands princes du Japon, il était destiné à perpétuer le souvenir de la soumission de la Corée. Donner une idée de la profusion des ornemens, de la finesse des détails, de la richesse de l’œuvre tout entière, serait impossible. Ce n’est pas d’ailleurs par les détails, c’est par l’ensemble que les beautés de Nikko peuvent faire impression sur l’étranger. Dans une grande solitude montagneuse, escarpée, une avenue grandiose bordée d’arbres plusieurs fois séculaires gravit les basaltes des sommets neigeux ; de toutes parts le murmure des ruisseaux et le grondement des cascades. C’est là que la puissance veut reposer, c’est là que le plus grand homme du Japon veut dormir quand il sera un dieu. Allons, fourmis, abeilles, toute la ruche humaine, à l’ouvrage ! Il s’agit de faire grand ! Qu’on entasse le granit et l’or, toutes les richesses de la couleur, toutes les merveilles de la sculpture, au fond de cette gorge écartée, où il en jouira seul ! Les mausolées de Nikko l’emportent sur tous les autres temples du Japon comme magnificence et conservation, rien de comparable, à Kioto même, malgré la richesse de cette grande cité sacrée ; mais ce qui fait la réelle supériorité de Nikko, c’est l’impression de grandeur que produit ce spectacle. Au pied du temple de Gongen-Sama, comme devant Notre-Dame, comme à Bourges, comme à Rome et à Athènes, l’âme humaine se sent à la fois élevée et écrasée. On reste stupéfait devant ces accumulations de pierres, ces toitures colossales et cet encadrement merveilleux d’arbres éternellement en deuil. Après cela, qu’importe que le grand tori (porte) en pierre de l’entrée ait été donné par le prince de Chikuzen, que les lanternes en bronze aient été offertes, celle-ci par la Corée subjuguée, celle-là par le prince de Lin-Kin soumis, une autre par les Hollandais alliés, qui n’ont pas fait preuve de goût ? Qu’importe que ce pavillon, le vingt-troisième dans la même enceinte, ait servi d’écurie aux chevaux des taïcouns quand ils venaient adorer leurs ancêtres, que cette fontaine rende la fécondité aux femmes stériles, que chaque lanterne de bronze ou de pierre ait son histoire, que les inscriptions rapportent les noms des donateurs et la date de leur soumission ? Qu’importe qu’ici soit la pierre où Hieyas lança un jour son encrier, qui, en se répandant, forma une lettre, que là soit un sabre qu’il a tiré du fourreau, là un parchemin qu’il a couvert de son écriture ? Tout en écoutant le cicérone, on songe aux peuples qui, sous le fouet d’un despote, ont bâti ces monumens et qui dorment aujourd’hui comme lui dans la poussière.

Outre le temple de Gongen-Sama, il y en a une foule d’autres, bâtis