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mais on prépare les trains, — comme à Tien-sin en attendant la débâcle du Peïho, — et, avec la fonte des neiges, tout cela viendra à Sekiado ou à Yeddo.

À 1 kilomètre au-delà de Sawaïri, on rencontre un bloc de granit gigantesque au milieu du torrent. On l’appelle le Ban-do-taro, et au-dessus la rivière en prend le nom et s’appelle Bandotaro-gawa. À force de monter, nous avions trouvé un froid intense, les chemins, non plus gelés, comme le matin, mais glacés ; la neige piétinée formait une couche glissante sur laquelle on se tenait péniblement à la montée, mais bien plus difficilement à la descente. Par quel miracle un-cheval peut-il avancer là-dessus sans ferrure, sans même les sandales de paille ordinaires, la corne à nu ? Enfin dernier coup de collier avant Hachivo : il fallut descendre et remonter un sentier presque à pic dans le genre de ceux d’Étretat. Quels efforts pour le pauvre cheval, que le mango se contente d’encourager de temps en temps sans le rudoyer jamais ! Il avait fallu pour ce passage diviser les bagages entre deux chevaux, et cependant ils formaient à peine la charge de trois hommes. Fort heureusement ce passage était court, car la nuit nous prenait, et la lune était levée quand à six heures et demie je frappai à l’hatoya d’Hachivo.

Ah ! cette fois j’étais bien en pleine montagne et pouvais observer à fond les mœurs hivernales. Devant nous, la rue large, couverte de neige ; de chaque côté, les maisons également neigeuses laissant de temps en temps percer par une fente de volet un rayon de lumière ; pas une âme dans les rues, pas une lanterne, et pour toute compagnie les aboiemens lugubres de chiens qu’on ne voit pas, mais qui, flairant le mien, lui font un accueil peu sympathique. Avec leurs formes lourdes et leur taille énorme, leur poil long et fauve, leur museau allongé, leurs yeux petits et enfoncés, leurs crocs proéminens, ces molosses se rapprochent beaucoup plus du loup, dont ils ont les instincts chasseurs, que du paisible épagneul qui vient se réfugier entre mes jambes, et que notre petite caravane a été plus d’une fois, depuis le commencement du voyage, obligée de défendre à coups de pierres contre leurs agressions.

À notre appel, une petite porte basse glisse sur sa coulisse, et nous voici dans l’intérieur de l’hatoya. Aussitôt débotté, j’ai ma place au feu. Ce n’est plus ce modeste chibatchi qu’on vous apporte dans les maisons de thé ; ce n’est pas non plus, hélas ! le grand âtre de nos campagnes. Au milieu de la salle est creusé un large foyer, de 1 mètre carré, rempli de bois de sapin. On s’assoit autour, les pieds dans la braise, ou accroupi sur ses talons, en ayant soin de ne pas se mettre sous le vent, car il en sort une fumée