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avait-il pas adoptées par faiblesse, sous l’influence de Durin par exemple? Ces réflexions le déchiraient en tout sens, sans qu’une seule dominât et fît taire les autres. Céline en outre pâlissait et maigrissait chaque jour, et sa tendresse pour elle le portait à désirer sans se l’avouer ce qu’il savait devoir la rétablir. Il arrivait d’ailleurs que chacun d’eux se croyait coupable, et, par amour pour l’autre, affaiblissait tous les jours ses prétentions. Cela les rapprochait beaucoup, et Mme Lacoste les aurait réunis, si elle eût été plus intelligente; elle restait neutre, et avait peur. Il était donc nécessaire que l’occasion s’offrît d’elle-même.

Il vint un moment, à la suite de ces contrariétés, où la maladie fit de rapides progrès : les jambes du docteur enflèrent. Il garda la chambre; comme il était devenu presbyte, il ne pouvait lire lui-même qu’avec peine, et les lunettes lui alourdissaient bien vite la tête. La lecture était cependant sa seule distraction, il s’ennuya. Céline était trop faible pour lire tout haut, son père craignait de la fatiguer. Mme Lacoste ne savait ni mettre le ton, ni suivre bien de la voix le sens des phrases; un jour donc, Céline dit au docteur : — Est-ce que tes yeux t’empêcheraient de voir une carte à jouer?

— Non; ce sont les petites lettres qui m’échappent.

— Alors... je t’ai trouvé une distraction, car tu t’ennuies. Voyons, dis la vérité, tu t’ennuies : ce n’est pas ma faute, je ne suis qu’une petite fille,

— Petite fille, dites-moi donc vite le jeu que vous avez découvert pour amuser votre père malade.

— Ce n’est pas si facile que cela. D’abord il faut que tu te confesses à moi. — Le mot confesser la fit rougir; elle l’avait dit sans intention cependant. — Tu as joué aux cartes quand tu étais jeune?

— Oui; mais, ma pauvre petite, ton jeu n’est pas possible. Tu ne veux pas apprendre le piquet, n’est-ce pas?

— Aussi n’est-ce pas moi dont il s’agit.

— Bon! et quel est le mystérieux personnage?

— C’est mon secret; demain il sera là. Par exemple, tu le recevras bien, n’est-ce pas?..

Le malade en était venu à ce point qu’il avait besoin de ces câlineries de langage. La jeune fille les lui prodiguait avec une coquetterie filiale. Il s’y laissait toujours gagner; aussi ne fut-il pas affecté trop péniblement lorsque Céline lui amena le curé, car c’était là le joueur dont elle avait parlé à son père. Le médecin fut même heureux de réparer ainsi ses torts envers son enfant, et dans l’accueil bienveillant qu’il fit au prêtre peut-être y avait-il la joie secrète de reprendre les habitudes les plus anciennes de ses soirées d’étudiant? Il semble, lorsqu’un homme va quitter la vie, que tout son être s’en