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premières semaines qui suivirent le retour de M. Lacoste s’écoulèrent presque heureusement pour le père et pour l’enfant. Le printemps fut magnifique cette année-là, et la beauté de la saison, en même temps qu’elle retardait chez le père les progrès du mal, entretenait chez la fille une invincible confiance. Leur vie n’avait guère changé : ils se promenaient comme autrefois; mais les montées étaient interdites à M. Lacoste : aussi avait-il annoncé qu’il se retirait et qu’il ne visiterait plus ses malades. Il réglait des affaires d’argent, et il consacrait ses dernières forces à rédiger un ouvrage sur la flore d’Auvergne, pour lequel il avait composé avec sa fille bien des herbiers. Comme elle l’aidait dans cette occupation, ils se quittaient peu. Cependant, persuadée qu’un mot d’elle suffirait à décider la conversion du médecin, elle ne prononçait pas ce mot : dès le premier jour, le docteur avait défendu qu’on lui parlât jamais de sa maladie.

Pouvait-il empêcher les deux femmes de se confier leurs craintes l’une à l’autre alors qu’il n’était plus là? Durant les après-midi, tandis qu’il recevait ses fermiers ou son notaire, elles demeuraient seules au rez-de-chaussée, elles travaillaient, elles rangeaient dans les hauts et profonds bahuts le linge et les vêtemens, elles les réparaient, et la conversation allait comme l’aiguille. M’me Lacoste avait toujours été la confidente des pensées de sa fille, et cette dernière voulut un jour la questionner sur le point obscur et douloureux de sa pensée.

— Maman, — lui dit-elle subitement et sans préparation parce que le sentiment était trop fort, — crois-tu que tous ceux qui meurent sans confession soient damnés?

— Pourquoi me demandes-tu cela?

— Pour rien, pour savoir, — fit Céline en rougissant. — Ma mère ne me comprend pas, se dit-elle.

— Ah! Jésus Dieu ! — reprit la mère, — c’est pour ton père que tu fais cette question. Vois-tu, Dieu est si bon! Quand on a toujours été charitable et honnête, que l’on se confesse ou non, qu’importe?

Il y eut un silence interrompu seulement par le bruit monotone de la vieille horloge, placée dans un coin de la chambre. C’était dans la salle à manger que les deux femmes causaient ainsi. La mère, qui depuis un an portait des lunettes pour travailler, les avait ôtées et les essuyait avec son mouchoir. Céline cousait en tremblant; elle était toute révoltée. Mme Lacoste avait parlé comme une excellente femme, mais incapable de pousser une idée à ses dernières conséquences. Céline sentit que ces paroles avaient creusé entre elles un abîme; elle n’essaya pas une seconde tentative. Elle n’implora pas non plus les conseils de son confesseur; ce prêtre, qui l’avait vue naître, la traitait un peu comme une petite